Tribune libre – No Billag? Sans blague?


En 1982 j’ai quitté le pays de ma mère : la France – où le gouvernement tentait encore de contrôler l’information par divers subterfuges – pour le pays de mon père : la Suisse. J’ai enfin su ce qu’était la pleine liberté d’informer. La vraie, celle à pureté de cristal. A Lausanne, les conférences de rédaction de la Radio Suisse Romande étaient souvent vives, franches, professionnelles. Jamais orientées par une instance extérieure cantonale, fédérale ou issue des milieux économique. JAMAIS. Ich schwöre es.

J’ai longtemps réveillé la Suisse Romande en compagnie de la joyeuse équipe du 5-9 puis j’ai accepté le poste de rédacteur en chef adjoint du Téléjournal. A l’époque, Darius Rochebin faisait ses débuts de présentateur, pas exactement hier…

Je n’ai subi qu’une seule pression. Un soir, juste après le 19h30, un Conseiller Fédéral m’a vertement signifié  par téléphone son mécontentement à propos du travail d’un journaliste. Je lui ai proposé de me confirmer ses critiques par écrit. Je n’en ai plus entendu parler.

A Temps Présent puis TTC, j’ai mesuré la chance de partager avec les équipes une unique priorité : rendre compte en images d’une réalité mouvante, complexe, contradictoire. Mission impossible, croyez-moi, sans les talents conjugués d’une solide chaîne de production.

Depuis ma retraite en juin 2013, au hasard des rencontres, quelques Romands me disent avoir encore ma voix dans l’oreille. J’aimerais qu’ils m’écoutent une fois encore.

L’initiative No Billag me stupéfie. Elle me semble relever d’une politique de gribouille indigne de notre démocratie. Je me souviens des notions de base apprises en 1982 lors de ma brusque transition du centralisme français au fédéralisme suisse: péréquation, rôle identitaire de la RTS, règles d’information du Souverain. Ces notions n’ont pas pris une ride. No Billag les passe toutes à la poubelle sans état d’âme.

La péréquation est toujours aussi vitale pour les minorités linguistiques. Les promoteurs de No Billag font mine de croire que le marché publicitaire romand – éventuellement conjugué à un régime de libre abonnement – suffirait à financer une information radio et télévisée romande. C’est faux. Une information de qualité, équilibrée, propre à mettre à la portée de chacun les arcanes du réel, coûte cher.  Bien trop cher pour notre petit bassin de population.

La construction identitaire de la Suisse Romande passe par les ondes. Seule la RTS maintient quotidiennement un lien fort entre cantons francophones. Aucune autre radio ou télévision locale ou cantonale ne peut jouer ce rôle. Aucun groupe privé n’aura les moyens de s’y substituer. Les Romands qui voteront oui à No Billag le 4 mars se tireront une balle dans le pied.

Les sources d’information ont, c’est vrai, changé au fil de la révolution numérique. Elles ont même tellement changé que la France éprouve le besoin de légiférer contre les sornettes malveillantes. 14 mois après l’élection de Donald Trump, la justice américaine tente encore de remonter à la source de l’avalanche de Fake News – aussi péremptoires que sans le moindre fondement – qui ont intoxiqué des millions d’américains. Pourquoi les Suisses seraient-ils  préservés de ces dangers ? Pourquoi, de votation en votation, un Souverain intoxiqué ne prendrait-il pas des décisions nuisibles au pays, sous l’influence de forces souterraines qui avancent masquées ?

Il existe un puissant antidote : le mandat de la SSR. Sans oublier le professionnalisme des chaines locales et cantonales, elles aussi financièrement soutenues par la redevance. Et tout ça pour un franc par jour !

No Billag ? Vraiment ? Sans blague ?

William Heinzer, Genève

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Un commentaire à “Tribune libre – No Billag? Sans blague?”

  1. Bernard Walter 8 janvier 2018 at 11:15 #

    Argumentation parfaite et très clairement exprimée. Sur le plan du principe, tout y est.
    Même si je suis assez souvent contrarié par l’alignement sur la doxa dominante d’un Rochebin par exemple et par l’amoncellement des débilités matinales à la télévision, il reste sur nos ondes de nombreuses niches de grande qualité. Je n’ose penser à ce que serait une radio/télévision aux mains exclusives de la finance et des privés.
    Cet excellent texte devrait figurer dans la brochure tous ménages publiée à l’occasion des votations populaires.

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