Lettre à un ami lecteur – Le Jura eut aussi son Notre-Dame-des-Landes


Or donc l’abandon du projet de construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Des années de résistance face à l’Etat français. Grâce à des gens déterminés et solidaires, qui ont su faire de leur lutte un combat porté par ce en quoi ils croient. Une victoire qui est cependant loin d’être isolée. Les exemples ne manquent pas, en France ou en Suisse. On s’est empressé de les passer sous silence. De les oublier… Vrai! Je n’en citerai que trois, par respect pour ton temps, dont un, mémorable pour moi. Puisque je puis le dire: j’y étais!

Sivens d’abord. Sans doute as-tu encore en mémoire la volonté affichée par le collectif créé en 2011 pour protéger l’ultime zone humide d’importance du bassin versant du Tescou, dans le Tarn. Une zone menacée de destruction par un vaste projet de barrage. Le barrage à ce projet, si je puis dire, porta ses fruits au prix de la mort du jeune militant écologiste Rémi Frasse, atteint mortellement d’une grenade tirée par un gendarme sur le chantier. Le projet initial fut abandonné le 4 décembre 2015.

Le Larzac ensuite. Dès le début des années 70, je te rappelle la mythique résistance au projet d’un camp militaire dans cette région fabuleuse située au sud du Massif Central. Sans doute a-t-elle inspirée les militants de Notre-Dame des Landes. Ici aussi la détermination des opposants contraignit le président François Mitterrand, à abandonner le projet.

Le troisième exemple est un peu notre Larzac à nous, les Jurassiens. Il faut aller le chercher dans les Franches-Montagnes où le Département militaire voulait implanter une place d’armes sur les communes de Lajoux, des Genevez et de Montfaucon. Autant dire au milieu d’un paysage somptueux. Pour y mettre des blindés afin d’y labourer ces pâturages où paissent en libertés chevaux et vaches. Au milieu de ces sapins qui étendent leurs branches comme pour protéger et caresser la terre. C’était en 1962.

La Suisse et son armée ne pouvaient tomber plus mal avec leur volonté d’imposer cette place d’armes aux Jurassiens. Pire, aux Taignons je dirais – nom donné aux habitants des Franches-Montagnes. Une sacré méconnaissance des mentalités locales, en réalité. Comme dans bien des ailleurs.

D’abord parce que le Jura était en pleine lutte pour sa libération d’avec Berne. Ensuite parce que dans le contexte des années chaudes du Jura, les autorités fédérales auraient mieux fait de se renseigner sur ce que pouvait représenter un Jurassien déterminé. Un Jurassien déterminé doublé d’un Taignon déterminé.

J’ai dit chaudes années? Aux actions du Groupe Bélier viendra se joindre en 1962 le Front de Libération du Jura (FLJ). L’un des membres, arrêté comme d’autres, Jean-Baptiste Hennin, fut emprisonné, avant de s’enfuir pour aller se réfugier en France. Il m’en souvient comme si c’était hier: la Suisse avait demandé son extradition. La France, par la voix de Charles de Gaule, avait simplement répondu: «On n’extrade pas nos nationaux».

Sous les coups de boutoir successifs, manifs et autres coups de gueule des représentants politiques jurassiens à Berne, le Jura une fois de plus fit plier la Suisse et son Département militaire. Le 30 décembre 1976, la Confédération, représentée par le conseiller fédéral Georges-André Chevallaz, et les maires de Montfaucon, de Lajoux et des Genevez signaient l’acte faisant des trois communes jurassiennes les propriétaires des 289 hectares de terrain que la Berne fédérale avait acquis dans le but d’y implanter «sa» place d’armes.

Si un jour tu te rends dans les Franches-Montagnes, dans nombre de bistrots, si tu lèves les yeux de la curiosité, tu y découvriras les fameuses affiches de Coghuf. Dont l’une, conçue en 1963, est demeurée célèbre. Elle est en noir et blanc. Avec un message percutant: «Sauvez les Franches-Montagnes». On y voit des squelettes suspendus à d’immenses gibets sur fond de paysage franc-montagnard.

Pierre Rottet

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