L’Afghanistan dans le miroir de ses médias : le cœur blessé de l’Asie


L’Afghanistan que l’on surnomme le cœur de l’Asie est au bord de l’infarctus. « En 2017, ont eu lieu plus de mille attentats dans le pays et dans la capitale », affirme Jawid Kohistani, expert des affaires militaires et en stratégie, lors d’une émission à la chaîne afghane 1TV.

PAR SIMA DAKKUS RASSOUL

Les nouvelles d’Afghanistan manquent trop souvent de contexte. Le pays est en période électorale. Cela a commencé il y a des mois. Les tensions internes augmentent. Les réformes énoncées dans le processus électoral pour ne pas répéter la malheureuse expérience des fraudes en 2014 n’ont pas été accomplies. Évidemment, le gouvernement et la classe politique s’agitent déjà oubliant les urgences vitales que vit le pays depuis les promesses électorales non tenues. Ce qui crée un situation d’exception dans un état de guerre et d’insécurité. Terrain propice pour l’augmentation des violences dont les civils paient le prix.

La guerre qui se déroule dans ce pays d’Asie centrale n’a rien de politique au sens strict. Les pouvoirs internationaux et régionaux agissent en toute discrétion, tout en lançant des grands principes, et n’ont pour objectif que leurs intérêts particuliers, voire très personnels, et ceux de leur clan.

Du côté que l’on appelle “l’Ouest” dans le pays, les gouvernants se prévalent de leur aide, déclaration peu délicate à l’égard de la population afghane qui y laisse des vies et supporte la misère et la migration intérieure pour cause d’insécurité incessante. L’aide reçue – par qui et pour qui? – apportée à un pays qui le rend au moins au centuple sous forme de ressources du sous-sol, prélevées sans le consentement de la population – que fait le gouvernement et qu’en tire-t-il? – sans aucun retour financier pour le pays, sinon nourrir la guerre.

Ou encore, des produits afghans dont l’origine change en traversant les frontières selon les pays, voisins notamment, qui les importent et s’en approprient l’identité. Pas d’appellation d’origine contrôlée dans un pays dont la majorité n’a ni travail, ni les moyens primaires de vie. Et dont le pouvoir en place se soucie peu des structures nécessaires à la reconstruction du pays et la régulation de ses finances.

Question cruciale: Où va l’argent venu de l’extérieur? Arrive-t-il tel qu’émis dans les infos mail? Ensuite, les contrats annoncés restent en rade, des routes, des ponts et bien d’autres projets. Inachevés. Et l’argent comme évaporé. Un cercle qui n’a rien de vertueux.

Les faits

Une ambulance estampillée officiellement traverse la ville de Kaboul, et franchit les passages de sécurité sous prétexte de transporter un malade. Une immense explosion détruit tout sur son chemin, femmes, enfants… à l’aveugle. Quartier sinistré, une centaine de morts, deux cents blessés. Manque de place dans les hôpitaux de la capitale, pénurie de sang pour les blessés. C’était mercredi 24 janvier à peine trois jours après l’attentat qui a secoué Kaboul samedi 20. Plusieurs corps manquent encore et ne sont pas reconnus, étant en morceaux. Au compte-gouttes, on arrive à un total de 500 victimes.

Un homme de la voirie déclare ne pas avoir d’appétit en rentrant chez lui, car il a ramassé ici des bras, là des jambes et des pieds. Il dit ne plus manger de viande. Avec déprime à la clé.

Deux faits réels, autant que symboliques. Une mère ayant déjà perdu un fils, fait une crise cardiaque à l’annonce du décès de son deuxième et dernier fils. Un père cherche son fils tué et finit par se suicider.

Les médias afghans

Le Pape a demandé une minute de silence lors de son apparition publique à Rome, en hommage aux victimes. La Tour Eiffel a vu ses lumières s’éteindre quelques instants en signe de solidarité.

Faut-il en déduire que le reste du monde prend acte de la situation? La réponse n’est pas si simple. L’histoire de l’Afghanistan et les écrits sur son histoire ne traversent pas les frontières souvent. Mais ces débats télévisuels de qualité pallient cette carence en rappelant que l’oubli ne vient pas recouvrir la mémoire afghane. À ce niveau, le gouvernement se garde d’intervenir. Les pressions indirectes se sentent sur les plateaux quand les porte-parole officiels sont interpellés.

Les médias afghans se font les chevaliers de la liberté d’expression. A leurs risques et périls. Les pertes parmi les journalistes ont été sévères en 2017, sans compter les problèmes rencontrés lors des enquêtes. Ou encore pour obtenir les informations officielles qui tardent ou tombent dans les oubliettes. Leur courage est infini pour informer les Afghans non seulement sur l’actualité, mais encore sur les cas non résolus et les réponses en point d’interrogation. Ils subissent une pression grandissante.

Ils sont une sorte d’agora pour refléter les points de vue informés sur les événements et révèlent les tensions entre les paroles et les actes du gouvernement sur le plan politique.  Les questions reçoivent des réponses stéréotypées venant des portes-parole du gouvernement et des instances officielles dont le siège reste vide lors de bon nombre de débats des télévisions afghanes. Ou encore, des informations qui contredisent, sans argumentation, les propos des spécialistes sur le plateau. Manque de transparence de tous les pouvoirs en jeu afghans. La communauté internationale n’est pas en reste.

La réticence à informer les médias prend source dans un procédé bien connu de propagande. Les médias sont vus comme des moyens de manipulation des faits avérés, mais ils résistent. Face à eux, des personnalités universitaires, toutes afghanes, des députés, des spécialistes en politique et des associations aussi bien de journalistes que des institutions humanitaires afghanes souvent ayant en leur sein des membres des organisations internationales. Une pluralité d’opinions bienvenue dans la situation du pays.

Mal informée, l’opinion publique internationale croit que la guerre en Afghanistan est une guerre interne. En effet, les nouvelles concernant les violences dans une situation confuse arrangent la nébuleuse d’intérêts cachés dans les discours officiels. D’où qu’ils viennent. Un proverbe afghan dit pêcher dans l’eau trouble. Beaucoup ont voulu « domestiquer » le pays, depuis la nuit des temps, aucun n’a réussi à y demeurer.

La carte d’Afghanistan à elle seule est éloquente à propos des enjeux géostratégiques du pays*.

 

La carte de l’Afghanistan montre frontières politiques, les villes et les Etats.

 

Lire aussi la chronique afghane du 3 août 2017.

 

 

 

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