Affects, les raisons de la colère


Dans les année huitante, le structuralisme battait son plein. 

PAR SIMA DAKKUS RASSOUL

L’interdisciplinarité était en point de mire. La narratologie, la linguistique pragmatique, l’histoire des idées enseignée par Jean Starobinski, la philosophie se côtoyaient dans les sciences littéraires et humaines. J’étudiais à l’Université de Genève et j’avais été vivement intéressée par la recherche sur les affects. Aussi bien dans le champ de l’art que des émotions et sentiments qu’ils suscitent chez l’artiste et dans le public.

Le Professeur Klaus Scherer, qui a fondé le Centre interdisciplinaire suisse en Sciences Affectives (CISA), le Centre interdisciplinaire suisse en Sciences Affectives (CISA), et qui enseigne à l’Université de Genève depuis 1985 en parle ainsi : « On assiste depuis les années 1980 à une grande explosion d’intérêts pour la vie affective. Des disciplines différentes comme l’économie, la philosophie, la psychologie, la neurobiologie font appel aux émotions et à leur rôle dans les actions, les pensées, les croyances et les comportements des êtres humains. »

Une dizaine d’années plus tard, le concept d’intelligence émotionnelle fera une entrée remarquée sur la scène des recherches en neuroscience. L’intelligence émotionnelle (IE), proposée par les psychologues Peter Salovey et John Mayer, se réfère à la capacité de reconnaître, comprendre et maîtriser ses propres émotions et à composer avec celles des autres.

Ici, on mettra en exergue une émotion mal aimée en société. La colère paraît porter à la discorde et à l’absence de contrôle, entachée de violence. Elle a en tant que telle sa nécessité et porte en elle une sorte de souffrance. Comme toute émotion, elle est néanmoins aussi vitale que les autres et il faut lui rendre justice.

Le grand écrivain allemand Robert Musil (1880-1942) attribuait aux émotions une souplesse et une interactivité très grande. Dans tout acte intellectuel, il y a interpénétration de la raison et des sentiments. Dans la littérature et l’art, les affects jouent un rôle créateur évident. Il en va de même de la colère, un nœud inextricable entre le ressenti et ses racines.

La colère, l’une des émotions dites fondamentales, est une émotion paradoxale à bien des égards. Par ailleurs, elle peut aussi bien détruire ou être constructive. Mais sa portée en société est crainte et n’a pas bonne presse. Toute l’histoire des émotions sur la scène de la société est le travail qu’elles nécessitent sur le chemin de leur communication

Notre société technocratique et matérialiste refoule avec vigueur la fibre humaine qui peut remettre en question, voire ébranler la marche mécanique et mercantile du monde. L’humain, dirait-on, devient un obstacle au progrès infini et à la croissance éternelle. Les émotions peuvent donc apparaître comme le grain de sable qui empêchent un processus totalement contrôlé. Les êtres ne sont pas égaux face aux émotions. C’est la manière de leur laisser l’espace de mûrir qui peut faire une différence décisive.

Les émotions remplissent une fonction physiologique et psychologique. Elles sont donc vitales. Le mot « émotion » signifie ce qui se meut de l’intérieur vers l’extérieur, de soi à l’autre. Dans sa dimension affective immédiate, la colère, par exemple, peut déboucher sur une action violente ou une prise de conscience qui va au-delà de l’émotion immédiate. Mieux on se connaît, mieux on peut à la fois ressentir une émotion et la travailler pour une expression acceptée par la société.

Dans ce climat auquel les pays avancés participent, bon gré, mal gré, la place et la connaissance des sentiments et des émotions restent d’une importance capitale. La place qu’on y donne dans l’éducation est à prendre au sérieux étant donné que l’on ne peut pas « noter » ces phénomènes impalpables, mais parfaitement analysables. Et que les connaissances peuvent aider les jeunes esprits à se connaître et à se trouver dans un monde mobile et instable.

Refouler les émotions provoque ce que la psychanalyse a appelé le retour du refoulé. En étant dans le déni d’une émotion réprimée, elle s’organise en strates. La colère retenue, par exemple, éveille toutes les colères masquées pour raison de bienséance. Elle est alors plus complexe que celle qui éclate dans l’immédiat.

Les émotions et les sentiments, les affects, sont tous nécessaires fondamentalement. Plus la place faite à l’humanité est grande dans une société, plus la gestion – un mot très technique pour exprimer un processus délicat – des affects devient saine.

Les affects libres sont une condition d’un fonctionnement équilibré de l’intellect. Une rationalité d’un autre ordre et plus largement distribuée dans l’être humain. Cela s’appelle les raisons du corps et du cœur.

Nuage entouré de bleu ciel. Légende SDR. Photo Laurette Heim.

 

 

 

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