L’Atelier De Grandi sort d’un relatif oubli l’œuvre de Wilhelm Gimmi (1886-1965)


Ce nouvel espace muséal, ouvert en 2017, est d’abord destiné à perpétuer l’œuvre des deux frères Italo et Vincent De Grandi, qui a fait l’objet d’une première exposition (DP 2179).

PAR PIERRE JEANNERET

Une petite présentation permanente (dont les toiles seront régulièrement renouvelées) continue de leur être consacrée. Mais leurs deux fils et neveux, Pierre et François De Grandi, initiateurs du projet, se sont donné une autre ambition: celle de présenter des peintres disparus, et souvent injustement oubliés. Ainsi, une future exposition sera dévolue à l’œuvre peinte d’un artiste surtout connu pour ses sculptures, Casimir Reymond.

L’exposition qui vient de s’ouvrir est basée sur le fonds Wilhelm Gimmi, déposé au Musée Jenisch à Vevey. Il est constitué de quelque 80 huiles et d’un millier de dessins, réalisés entre 1910 et la mort de l’artiste en 1965. Le choix retenu pour l’Atelier De Grandi permet de suivre toute la trajectoire du peintre.

Wilhelm Gimmi est né à Zurich en 1886. Après une formation artistique dans cette ville, il s’installe en 1908 à Paris, où il passera trente-deux ans. Il y fréquente la réputée Académie Julian, visite des musées, mais s’intéresse aussi à l’art contemporain. Plusieurs styles cohabitent chez lui dans les années 1910-1920. Les toiles présentées à Corseaux permettent de mesurer l’influence de Cézanne, du fauvisme, du cubisme – très apparente dans Les musiciens de 1912 – et de l’expressionnisme. Car Gimmi est autant en phase avec l’art français qu’avec l’art germanique. En 1912, il participe à la deuxième exposition du Blaue Reiter à Munich. L’année précédente, il avait déjà exposé à Lucerne, aux côtés de Cuno Amiet, Ferdinand Hodler, Paul Gauguin et Pablo Picasso! Il est frappant de constater que ce peintre, dont la cote a chuté après sa mort, est alors reconnu sur le plan international. A Paris, il produit et vend beaucoup.

Gimmi a peu à peu digéré ces diverses influences avant-gardistes, sans pourtant les renier, et s’est constitué un style plus personnel, discret, intimiste. Parmi ses paysages de France, on remarquera un beau Saint-Gervais, quartier de Paris peint en 1925, où l’on trouve encore une touche cézanienne. Mentionnons aussi quelques natures mortes très abouties.

Quant aux portraits, dont les personnages adoptent pour le pinceau du maître une pose un peu figée, ils nous font penser au mouvement de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit), auquel le Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds consacre actuellement, et jusqu’au 27 mai, une exposition d’une richesse exceptionnelle. A l’instar de ce mouvement germano-suisse, Gimmi avait pour modèles les artistes du moyen-âge tardif.

Mais Wilhelm Gimmi restera surtout comme le peintre de la femme. Dans de nombreux tableaux, il a sublimé le corps féminin. Un corps opulent, voluptueux, au galbe généreux. On pourrait parler de «peintures de sculpteur». Ici ou là, on ressent l’influence du Picasso de son époque néo-classique des années 1930, à travers les bras représentés volontairement ronds et courts. On constatera que plusieurs des nus de Gimmi sont vus de dos, ce qui empêche bien sûr toute identification. En ressortent donc la quintessence de la féminité, l’expression de l’éternel féminin.

L’exposition présente aussi nombre de dessins. Fidèle à la tradition académique, et resté en cela très classique, Gimmi considérait que le dessin préparatoire doit précéder le tableau. On y retrouve cette importance accordée aux formes, au modelé des corps, qui ne sont pas sans rappeler les dessins de Michel-Ange. Mentionnons un portrait très réussi de James Joyce, réalisé à la mine de graphite sur papier. Gimmi était un grand admirateur de l’auteur d’Ulysse.

En 1940 la débâcle française, et le fait que sa première épouse est juive, contraignent Gimmi à quitter définitivement la France. Il s’installe alors à Chexbres, en Lavaux. Les premiers temps seront difficiles. En effet, les artistes restés en Suisse voient souvent d’un mauvais œil la concurrence de leurs confrères qui, à Paris, ont acquis une réputation internationale… Pendant cette dernière phase de sa vie, Gimmi s’intéressera moins aux grandioses paysages lémaniques qu’au travail humble et quotidien de la vigne.

L’Atelier De Grandi mérite absolument la visite! D’abord par l’espace qui l’abrite. La villa, construite en 1939, est en effet l’œuvre du célèbre architecte italo-suisse Alberto Sartoris (1901-1998). Ce dernier a joué un rôle considérable dans la diffusion de l’avant-garde architecturale en Suisse. Il fut l’un des fondateurs, à La Sarraz en 1928, des Congrès internationaux d’architecture moderne (Ciam), aux côtés de Le Corbusier. Les espaces de la villa-atelier De Grandi, créés par lui pour Italo en 1939, sont donc sobres, ouverts à la lumière et constituent un bel espace pour l’accrochage de tableaux. C’est d’ailleurs à l’architecture moderne de l’entre-deux-guerres dans la région lémanique que sera consacrée, avec l’appui de l’EPFL, la prochaine exposition à l’Atelier, cet automne 2018.

«Wilhelm Gimmi. Une vie pour la peinture», Atelier De Grandi, Corseaux/Vevey, jusqu’au 1er juillet 2018

Domaine Public

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