1968, où est ta victoire?


Le joli mois de mai. De Prague à Paris et San Francisco, le muguet de 1968 avait l’odeur du pneu brûlé et du gaz lacrimogène. Les commémorations des événements qui secouèrent la planète il y a un demi-siècle sont gentillettes mais ne reflètent que très imparfaitement les enjeux de l’époque. Elles négligent la situation géopolitique dominée alors par la guerre froide. Qu’avaient en commun les motivations des manifestants tchèques et celles des étudiants de Nanterre? Les premiers contestaient l’ordre communiste, une dictature encore imprégnée de réflexes staliniens, en dépit de susucres savamment distillés à l’attention de la bienséance onusienne. Les seconds songeaient d’abord à renverser un ordre établi considéré comme inégalitaire. Calife à la place du calife. 

La récupération est un métier dont les ambitieux et les carriéristes se font les artistes. Après la Libération, il ne se trouvait en France que des résistants. De même à la chute du Caudillo ibérique, tout le monde revendiquait un passé anti-franquiste. Combien de descendants de réfugiés économiques aujourd’hui légitimement intégrés en Suisse n’ont-ils pas bonifié ainsi leur héritage familial? Il en va de même avec les événements de 1968. A les écouter aujourd’hui, les témoins de cette époque ont tous ou presque gravi les barricades.

J’avais 19 ans en mai 1968. Je peux certifier que les bacheliers et étudiants helvétiques se sentant pousser des ailes de révolutionnaires ne constituaient de loin pas la majorité. Cohn-Bendit et Geismar n’étaient pas des modèles auxquels la jeune génération s’identifiait. Cela étant, l’ordre ancien, comme disait Aragon, vacillait. Une certaine attitude face à l’autorité changeait  de manière irréversible. Les enfants de l’après-guerre ont grandi avec les débuts de la télévision, cette grande révolution technologique qui bouleversa les habitudes en instillant dans les chaumières le mode de vie américain. A sa manière, la bombe atomique a aussi pesé dans l’évolution des mentalités dans la mesure où les baby boomers ont pris conscience de la fragilité collective des êtres et des choses. S’il faut mourir jeune, vivons intensément! Du jour au lendemain, les hommes ont délaissé la cravate dans les amphithéâtres des universités. Les relations sexuelles se sont libérées, grâce aussi à… l’industrie pharmaceutique qui avait inventé la pilule. Paradoxe, en 1968, la femme, en Suisse, ne votait pas encore!

On parle relativement peu de la musique anglo-saxonne. Mais c’est d’abord elle qui changea le monde dès le début des années soixante. Les auteurs géniaux de Sgt. Pepper’s et Pet Sounds ont préparé le terrain à la formidable mutation des moeurs qui trouva son éclosion en France dans les râles de Birkin et Gainsbourg. Puis la société de consommation, celle-la même que le «flower power» remettait en question, s’est glissée insidieusement dans l’espace abandonné par les religions et les idéologies. Elle submergea les continents et les murs, anticipant la fonte des glaciers. 68, où est ta victoire?

Christian Campiche

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