Indiennes, les Suisses au cœur d’une économie mondiale, exposition à Prangins


Que ce soit pour leur savoir-faire, leur talent de négociants ou leurs apports en capitaux, les Suisses ont joué un rôle capital dans la success story des indiennes, ces tissus de coton imprimé qui suscitèrent un engouement sans précédent au XVIIIe siècle.

PAR HELEN BIERI THOMSON*

Qui sait encore de nos jours que le principal traité de fabrication des indiennes, utilisé dans toute l’Europe, a été écrit par le Bâlois Samuel Ryhiner dans les années 1770 ? Ou qu’à Jouy, près de Versailles, dans la plus célèbre des manufactures françaises, on parlait allemand parce que les meilleurs techniciens étaient zurichois, argoviens ou bâlois ? Que d’anciens gardes suisses du roi y veillaient à la sécurité des toiles étendues sur les prés ? Ou encore qu’en Normandie, en 1816, on se plaignait des ouvriers suisses qui « exigeaient des salaires très élevés […] on était forcé de les leur accorder, puisqu’il n’y [en] avait pas d’autres […]. Ils avaient seuls les talents de graver les planches, d’imprimer et d’apprêter les étoffes, ils ne travaillaient que dans la belle saison, ils retournaient ensuite pour enrichir leur patrie de l’argent qu’ils avaient gagné en France » ?

Grosso modo, trois types de Suisses ont contribué à l’industrie très lucrative des indiennes : les ouvriers qualifiés, les entrepreneurs-fabricants et les grands capitalistes-négociants. La fabrication et l’impression des indiennes sont des procédés relativement complexes nécessitant des connaissances techniques pointues, en particulier dans le domaine de la teinture. Ce savoir-faire arrive en Suisse à la faveur de l’émigration des huguenots, principaux producteurs d’indiennes, suite à la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Parallèlement, les secrets de fabrication tendent à disparaître de France où les indiennes seront prohibées dès 1686.

En 1759, à la levée de l’interdiction, il n’y a quasiment plus d’ouvriers spécialisés dans le royaume, d’où l’attractivité des techniciens suisses qui, entre-temps, se sont hissés au sommet de la production européenne. Dès lors, de nombreux fabricants quittent la Suisse et s’installent à Nantes, à Bordeaux ou en Normandie où ils ouvrent de nouvelles entreprises. Protestants, ils viennent pour la plupart des régions de Neuchâtel et de Genève, où ils ont appris le métier, et emmènent avec eux la main-d’œuvre qualifiée. Parmi ces entrepreneurs, il faut citer les frères Simon-Louis et Ferdinand Petitpierre, originaires du Val de Travers, dont la manufacture, une des plus importantes de France, produit 25’000 toiles par an, ou le Genevois Abraham Frey qui, dans la foulée des événements du 14 juillet 1789, imprime une toile représentant la prise de la Bastille. Il la conçoit comme un hommage à son compatriote Jacques Necker, le très populaire ministre des finances de Louis XVI.

Produire des indiennes coûte très cher en raison des matières premières nécessaires à l’impression. Dès lors, l’industrie des indiennes entretient des liens étroits avec le grand négoce international, dont elle dépend pour se fournir en toiles de coton et produits tinctoriaux exotiques. Issus souvent de puissants réseaux d’affaires suisses et huguenots, de nombreux banquiers et capitalistes investissent massivement dans l’indiennage. L’un des plus célèbres est le Neuchâtelois Jacques-Louis de Pourtalès. Surnommé « le roi des négociants », il construit son empire sur les indiennes. En 1753, il fonde avec Claude-Abram Du Pasquier la société Pourtalès et Cie, une maison de banque et de commerce. Celle-ci ne fabrique pas elle-même des indiennes mais fait travailler pour son compte plusieurs manufactures dont la Fabrique-Neuve de Cortaillod. Concrètement, de Pourtalès leur fournit les toiles blanches et les matières premières pour la teinture, puis écoule leurs toiles imprimées. Pour ce faire, il a des comptoirs dans tous les ports d’Europe et en Inde, ainsi que des commissionnaires dans les foires européennes.

*Directrice du Musée national suisse, Prangins

Dans le cadre des festivités marquant le 20e anniversaire de l’inauguration de son siège romand au Château de Prangins, le Musée national suisse organise l’exposition intitulée “Indiennes. Un tissu révolutionne le monde!“. A voir jusqu’au 14 octobre 2018.

 

Le ballon de Blanchard
Normandie, manufacture non identifiée, après 1784.
Impression à la planche de bois.
© Musée national suisse

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