L’œuvre gravé de Picasso et Kokoschka à Vevey


Deux expositions à voir jusqu’au 7 octobre 2018 au Musée Jenisch de Vevey.

PAR PIERRE JEANNERET

Picasso. Lever de rideau. L’arène, l’atelier, l’alcôve

L’œuvre gravé de Pablo Picasso (1881-1973) occupe une place considérable dans sa production, et cela de 1905 presque jusqu’à sa mort. Multipliant eaux-fortes, lithographies, aquatintes et d’autres techniques encore, il témoigne là aussi de son extraordinaire maîtrise et de sa capacité à se renouveler.

Picasso a toujours été fasciné par le thème du spectacle, et d’abord celui du cirque. Dans ses premières années parisiennes, il vient se défaire de sa mélancolie au cirque Medrano. En 1905, il réalise sa série des Saltimbanques, qui correspond sur le plan pictural au début de sa période dite «rose». Il campe tout un monde d’artistes ambulants, notamment des Arlequins, des trapézistes, des écuyères. Il les montre soit en plein exercice, soit au repos.

Comme tout Espagnol (en tout cas de son temps), il est fasciné par la corrida. Celle-ci a son rituel et ses phases, qui représentent tout un cérémonial: la parade, les piques, les banderilles, le torero avec sa muleta jusqu’à l’estocade et la sortie de piste avec les chevaux tirant le taureau mort. Une série de 1957 illustre bien ces différents moments, en jouant sur le noir-blanc qui fait contraster lumière intense du soleil et ombres. Remarquons que certaines scènes de tauromachie semblent s’inspirer de la peinture crétoise antique. On sait le respect du maître, pourtant fécond et inlassable novateur, pour les grandes œuvres du passé, dont témoignera son hommage à Velasquez dans les dernières années.

C’est de cette opposition entre l’homme et la bête qu’est né le thème du Minotaure, si central dans l’œuvre de Picasso. Il est issu d’un mythe antique. Pasiphaé, épouse de Minos, roi de Crète, tombe amoureuse d’un magnifique taureau. Le fils né de cette union porte une tête de taureau sur un corps d’homme. Finalement, cet être monstrueux sera enfermé dans le labyrinthe, où il se nourrit de chair humaine. Thésée s’en libérera grâce au fil d’ Ariane, mais c’est une autre histoire…

Pour Picasso, le Minotaure, dans lequel il va de plus en plus s’incarner, représente certes le dualisme entre l’homme et la bête. Mais il est surtout symbole de virilité et de puissance sexuelle, lorsqu’il prend possession de femmes voluptueuses tout en courbes: seins, hanches, pilosité pubienne, fente du sexe sont mis en évidence. La gravure portant le titre «Vieil homme songeant à sa jeunesse» (1968) nous offre-t-elle une explication psychologique?

Les poses de ses modèles – de ses conquêtes? –sont lascives, telles des odalisques d’Ingres. Mais le corps subit des déformations volontaires. Nul souci chez Picasso d’exactitude anatomique. Malgré l’extraordinaire habileté du maître, il faut reconnaître que la répétition quasi obsessionnelle de ce thème de l’étreinte peut à la longue fatiguer. Plus d’une femme de notre connaissance est gênée, voire choquée, par ce qui finit par apparaître comme l’expression d’un véritable machisme.

Une petite salle d’exposition est réservée au peintre René Auberjonois (1872-1957). Sa présence aux côtés de l’œuvre de Picasso est parfaitement légitime, vu la parenté de leurs thèmes de prédilection : le cirque, les clowns, la corrida, le spectacle en général. Et l’artiste vaudois n’a pas à rougir de cette confrontation.

En selle! Kokoschka et les équidés

On sait que le Musée Jenisch possède la plus importante collection au monde d’œuvres d’Oskar Kokoschka (1886-1980), suite à un legs de sa veuve qui, sur le plan juridique, fit quelque bruit. A l’étage du bâtiment, à côté d’un choix d’huiles représentatives de son œuvre, le visiteur découvrira le graveur ainsi que le dessinateur, et l’un de leurs thèmes de prédilection: les équidés.

Ils sont montrés tantôt broutant dans un champ, tantôt sur l’arène d’un cirque, ou encore à la guerre (Kokoschka a fait celle de 1914-18 dans l’armée austro-hongroise). Rappelons aussi l’importance du cheval dans le mouvement d’avant-garde précisément nommé Der blaue Reiter, fondé à Munich en 1911.

Et, cerise sur le gâteau: le musée a reconstitué l’atelier de l’artiste dans la villa Dauphin, sa maison de Villeneuve, avec ses pinceaux, ses innombrables tubes de couleurs – lui qui était un grand coloriste aux franges de l’expressionnisme, mais aussi les nombreux objets hétéroclites dont il s’inspirait pour sa création artistique. Emouvant, comme le sont tous ces lieux où un artiste a œuvré, en abandonnant sur place, semble-t-il, ses instruments de travail…

Domaine Public

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