Pour le romancier Julien Sansonnens, “il faut accepter qu’il restera toujours des zones d’ombre dans l’affaire du Temple solaire”


La Méduse: Julien Sansonnens, vous êtes l’auteur de « L’enfant aux étoiles » (Editions de l’Aire, 2018), un roman qui raconte l’histoire de la fille de Joseph di Mambro, Grand maître de l’Ordre du Temple solaire, l’OTS. Considérée comme le Christ du nouvel âge, elle mourra à douze ans dans l’incendie du chalet de Salvan, refuge de la secte. Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre?

Julien Sansonnens: C’est d’abord l’envie de parler d’un lieu, le Valais, où j’habite depuis un moment. Un endroit à la fois très ouvert sur le plan touristique et une région qui garde ses mystères. Un canton qui joue de cette dichotomie et qui a été secoué par de grandes affaires criminelles, je pense aussi à l’affaire Luca. Je trouvais intéressant d’écrire sur cette région particulière.

Dans votre livre, le récit côtoie le roman. Vous relevez en cours d’écriture que la difficulté a été de faire une enquête sans être journaliste.

Vous avez raison, le livre a un côté un peu hybride, entre le documentaire et la réflexion. Cette démarche n’a pas été aisée car j’y aborde des questions éthiques. Ai-je le droit de faire parler des gens morts, qui n’ont pas la possibilité de se défendre? La prudence s’impose. La question du rapport au réel m’a beaucoup perturbé. J’ai changé les noms pour m’offrir un peu de liberté par rapport aux personnages. Le livre n’est pas vraiment le résultat d’une enquête, dans le sens où je n’apporte aucune information sur le Temple solaire. Tout ce qui est paru dans le livre a déjà été publié, je me base beaucoup sur des sources journalistiques, notamment sur le travail d’Arnaud Bédat dans « L’Hebdo ». Par contre j’ai souhaité aller voir de rares témoins qui sont encore en vie, des victimes qui ont quitté la secte, ou des familles des victimes. Non pas pour refaire l’enquête ni trouver une vérité alternative mais essayer de comprendre quel avait été leur ressenti à l’époque. Je me suis effectivement heurté à des murs de silence qui m’ont tout de même un peu étonné, 25 ans après les faits. Je pensais que les langues allaient se délier un petit peu. J’explique cette forme d’omertà par deux raisons. D’abord les gens sont des personnes âgées qui aspirent à leur tranquilité. Je pense aussi que certains sont liés par un serment du secret qui continue d’opérer d’une certaine manière. Beaucoup de protagonistes m’ont confié une certaine nostalgie de cette époque, allant jusqu’à déclarer qu’il s’agissait d’années lumineuses. C’est difficile à entendre quand on connaît les circonstances du drame, mais c’est ainsi. La secte a compté quand même jusqu’à 500 adeptes qui ne sont pas tous morts dans les flammes.

A la fin du livre, vous lancez un appel à des témoignages. Cela veut-il dire que l’enquête n’est pas terminée? Ou alors souffre t-elle de lacunes?

Difficile à dire, mais il faut accepter qu’il restera toujours des zones d’ombre dans le dossier du Temple solaire. Je suis convaincu que l’on ne saura jamais le fond de l’histoire. D’autant que je ne parle pas dans le livre du drame du Vercors, autre lieu de décès collectifs liés à l’OTS, beaucoup plus complexe et bizarre. Je me suis concentré sur Salvan et Cheiry. Des éléments restent troubles, qui rappellent certaines affaires de la politique française, les affaires Boulin ou Bérégovoy, ces morts mystérieuses dont, 40 ans après, plus personne ne pense qu’il s’agit de suicides. Il ne faut pas s’étonner que des théories du complot aient pu prospérer. Je n’ai pas envie d’entrer dans l’idée que l’on me cache des choses, d’ailleurs je n’y crois pas fondamentalement, mais il n’en demeure pas moins qu’au Ministère public fribourgeois, en dépit d’un intérêt public évident, je n’ai pas eu accès à l’ensemble du dossier. Ce dernier a été expurgé des annexes, je n’ai visionné que cinq cassettes vidéo sur les 60 qui ont été trouvées. J’aurais aimé comprendre pourquoi et comment les magistrats ont choisi les pièces qu’ils m’ont montrées. Des questions demeurent, notamment concernant l’aspect financier, un trou noir sur lequel personne ne s’est jamais penché. Il y a là une piste pour de nouvelles recherches! Cela dit, j’entretiens un mince fantasme, c’est que quelques rares témoins sachent des choses et veulent encore libérer leur conscience. Il y aurait des enseignements à tirer de cette situation tellement particulière, liée à la vie de la petite Emmanuelle Di Mambro. L’enfant aux étoiles, comme je l’appelle, est donc la motivation du livre. Le fait que des enfants ont été entraînés dans un telle histoire interpelle incontestablement. Le drame humain d’une enfant conçue pour être sacrifiée sort de l’ordinaire. On essaie de comprendre l’indicible.

Vous vous demandez aussi si d’autres sectes existent encore en Valais. S’agit-il d’une intuition ou de déclarations entendues ici ou là?

Très honnêtement je n’en sais rien, je n’ai aucun élément me permettant de le penser. Par contre si l’on se base sur l’observation des faits, des personnes sans profil particulier qui ont adhéré à une secte, on est tenté de faire une corrélation avec une certaine déliquescence des institutions religieuses traditionnelles, une certaine froideur du monde d’aujourd’hui. Beaucoup de gens se posent des questions existentielles et d’autres peuvent profiter de cet état de faiblesse passagère, ou pas. 

Propos recueillis par Christian Campiche

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