Lettre à mon opticien (8) – Je lui demande «Où suis-je et à quelle époque?». Il me répond «dans le Novo, en 1915»


Je me réveille péniblement, après une nuit de sommeil, très agité.

PAR JEAN-CHARLES ROSSI

Le décor de ma chambre est irréel. Les parois sont translucides et une lumière si étrange émane des quelques objets qui la meublent.

Soudain apparaît un message sur le devant de mes yeux : «. Vi ni havi fariconfida par âcetaio da via okulvitoj al 1905 tiam ». Je suis fulguré par pareille apparition, si incroyable ! Après un moment de désarroi, je reprends le contrôle de mes sens. Les mots confida et okulvitoj me suggèrent confiance et oculiste, mais, 1905 me laisse pantois. Un café me ferait du bien. Un étrange objet, avec un robinet pendant, s’illumine soudain sur la paroi, avec un message au-dessus de lui: «  Court, moyen ou long, avec sucre ou sans, capucino »? Je m’exclame «  Merde! C’est quoi cette histoire? ». Apparaît alors le message suivant: «Vous vous êtes exclamé, en une langue incompréhensible. Nous débitons votre compte personnel d’une amende d’ordre de 50 deuros ». Le café court et sans sucre que vous souhaitez, vous coûtera 1 deuro ». Je ne sais comment, pareilles visions, cohérentes avec mes désirs, soient possibles et sens ma santé mentale, vaciller.

Confus, je souhaite voir la lumière du jour. Soudain, conformément à mon souhait, l’ample baie vitrée jusqu’à présent opaque devient transparente. Un spectacle des plus grandioses s’offre à ma vue: de hauts buildings émanant des lumières fascinantes, des viaducs cylindriques serpentants et s’entrelaçant dans l’espace, avec de longs obus à leur intérieur se déplaçant dans tous les sens. C’est tellement féerique! J’ai peine à croire ce que je vois, mais le spectacle est bien là, devant moi.

Tout à coup m’apparaissent des flèches et des distances qui semblent tracer un parcours. Je décide d’entreprendre pareil itinéraire.

Je rencontre des gens bien sympathiques qui me sourient en salamalecs et s’adressent à moi en salmigondis. Ils sont habillés de combinaisons finement tramées de fils bariolés, qui semblent se colorer en fonction de leurs sentiments. Vêtu d’habits de mon époque dans mon monde, je me sens décalé, presque souillon.

J’arrive finalement devant un immeuble. Une grande enseigne mentionne «OKULVITOJ». Je me demande: est-ce bien ici? L’enseigne s’illumine et acquiesce par un vert clignotant! Ébahi, j’ai envie de passer une serpillière devant mes yeux, pour effacer cette réalité augmentée interagissant avec mes pensées, désirs et doutes, qui me subjugue. Au fond de la salle d’attente, un siège coloré vert pâle m’invite à m’asseoir. Peu après, un homme âgé s’assied devant moi. D’instinct, je lui dis « Bonjour ». Il me répond étonnamment dans ma langue « Bonjour ». Je lui demande « Où suis-je et à quelle époque?». Il me répond » dans le Novo, en 1915».

Devant mon désarroi, il m’informe qu’il a appris les langues anciennes utilisées avant la révolution mondiale, advenue en 1815 il y a 100 années. Je lui cite le message apparu. Il me répond qu’il s’agit d’une invitation en espéranto à faire contrôler ma vue. Après la grande révolution, la base 11 pour l’expression des nombres a remplacé la base 10. Je calcule la date de ma dernière consultation chez l’oculiste en 1905 et j’obtiens 2425.

Par quel sortilège ai-je été transporté en 2436 et invité chez l’oculiste 11 ans après ma dernière visite?

J’ai le sentiment, que mon double continue à vivre sans souci et sans conscience de l’advenu. Lui, saura répondre à l’opticien en relevant sa bévue sur la date du dernier contrôle de vue.

Pour moi, rien à penser que finirait par savoir mon opticien. La date de consultation est cohérente dans mon Nouveau Monde, si poliment augmenté et coloré de mes sentiments!

Pas de lettre-réponse à mon okulvitoj en 2436.

Texte écrit pour le Café aux Lettres du 27.07.2018. Mots-clés: serpent, serpillière, sortilège, santé, souillon, sympathique, salamalecs, salmigondis. Thème: Lettre à un opticien (proposé par tous).

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