Bachar Alkazaz, le français pour patrie


Dans sa correspondance à son ami lausannois Philippe Baud, le Syrien Bachar Alkazaz (photo DR) livre huit ans d’existence, entre angoisse de la guerre et courage dans l’exil. Des «Lettres de Syrie et d’exil» dont les éditions Labor et Fides ont publié un recueil en septembre 2018 rédigé dans un français parfait, le Damascène entretenant une passion pour la langue de Molière.

Le premier « Cher Philippe » date du 23 novembre 2010, soit un mois après la rencontre des deux hommes lors d’un voyage organisé dans une Syrie encore paisible. Mais en avril 2011, tout change avec les premières manifestations. Père de cinq enfants, Bachar Alkazaz veut rester optimiste, mais la peur grandit chaque jour. A la fin de l’année 2011, elle « ne veut plus me lâcher une seule journée » ; en février de l’année suivante, elle est « comme l’air que l’on respire chaque seconde ». En mai, il raconte la queue interminable pour un peu de pain, les portes des écoles qui se ferment, les armes qui se rapprochent. « Philippe, il faut fuir le feu », affirme-t-il alors. 

C’est en Jordanie que la famille s’établira lors d’un exil douloureux : « A quel mur, à quel meuble et à quel souvenir peux-tu dire adieu dans la maison à ce moment-là ? » Après un an, Bachar Alkazaz décide de tenter sa chance en Suède. On l’a découragé de se rendre en France. Muni d’un faux passeport français, il traverse la Turquie et la Grèce en compagnie de son fils aîné. Accepté en avril 2014 comme réfugié en Suède, lui et sa famille sont installés dans un petit village du nord du pays. La route et la guerre sont derrière eux… pas les épreuves. « L’oubli est un confort qui ne s’offre pas à tout le monde », écrit-il, racontant des nuits sans sommeil et des jours qui ressemblent à des nuits, dans « une lenteur que j’ai envie parfois de chasser avec les deux mains ». Une lenteur à laquelle se mêle la douleur de la perte. Ses parents sont morts sans qu’il ait pu les revoir et en mars, son frère a été tué par un obus sous les yeux de son petit garçon. Et bien que son intégration soit parfaite – il maîtrise aujourd’hui le suédois au point de l’enseigner à l’école – l’homme se sent profondément déraciné. Un malaise aggravé par celui de son épouse Sawsan qui refuse tout contact avec l’extérieur. 

Bachar Alkazaz le sait, il ne reviendra peut-être jamais dans les ruelles ensoleillées de Damas qui l’ont vu grandir. Sa patrie, désormais, c’est l’écriture, c’est le français, grâce auxquels il entraîne le lecteur dans un voyage entre abîmes et espoirs que l’on n’est pas près d’oublier. 

Aline Jaccottet

« Lettres de Syrie et d’exil », Bachar Alkazaz, paru le 12 septembre 2018 aux éditions Labor et Fides, Genève. 

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