Tribune libre – Défendre l’Etat de droit contre les assureurs


La nouvelle base légale sur la surveillance des assurés, soumise à votation dimanche prochain, mérite un rejet net et cinglant. Préparées à la va-vite aux Chambres fédérales, les nouvelles dispositions offrent un blanc-seing politique et moral au lobby des assureurs. Comme l’ont relevé les milieux de défense des personnes aux prises avec un handicap ainsi que de nombreux professeurs de droit, la nouvelle base légale aggrave d’une part la tendance déjà dominante à jeter soupçon et discrédit sur les bénéficiaires des assurances sociales. Elle constitue ensuite une menace pour nos libertés fondamentales, en particulier le respect de notre sphère privée. Enfin, elle peut entraîner un important risque démocratique.

Une surveillance étendue et sans-limite

En modifiant l’Art. 43 de la Loi fédérale sur les assurances sociales (LPGA), le législateur vise non seulement les bénéficiaires de l’assurance-accident et de l’assurance-invalidité, mais aussi les assurés de l’assurance chômage, de l’assurance-maladie, de l’assurance militaire, des prestations complémentaires, du régime des allocations pour perte de gain (APG) et de l’AVS. Il est à craindre que la chasse aux abus orchestrée par la droite conservatrice et réactionnaire et les assureurs ne tolérera aucune limite. Ainsi, les assureurs n’auront pas besoin d’obtenir l’accord d’un juge pour ordonner une surveillance (sauf pour l’usage de la géolocalisation). Selon le texte, les assurances peuvent également débuter une surveillance d’un assuré si elles disposent d’indices probant laissant penser que l’assuré fraude ou essaie de frauder. Un membre de direction d’une assurance peut décider seul de la surveillance et évaluer lui-même des indices étayant un soupçon de fraude. Aucun contrôle n’est prévu au moment où la surveillance démarre. Le texte prévoit que celle-ci peut durer au maximum pendant trente jours sur une période de six mois dès le premier jour d’observation. Cependant, tant que l’assurance n’a pas été informée qu’une surveillance a démarré, le décompte de 30 jours n’a pas commencé. Le détective privé – qui exerce une profession non soumise à réglementation (contrairement à celle des fonctionnaires de police) – n’a pas besoin d’informer l’assurance s’il ne trouve pas de preuve. Il peut mener ses recherches, en toute quiétude, aussi longtemps qu’il le souhaite, jusqu’à ce qu’il en trouve une. D’autre part, l’assuré est le seul à pouvoir s’opposer à sa surveillance secrète devant le Tribunal. S’il n’est pas informé qu’il fait l’objet d’une surveillance abusive, il est dans l’incapacité de poursuivre l’assurance qui s’abandonne sans justification à une surveillance secrète.

Perte de contrôle démocratique

Aux Chambres, la gauche a tenté de modifier le nouveau projet de loi afin que les personnes suspectes puissent seulement être surveillés dans des lieux publics. Or, la loi permettra maintenant leur surveillance dans des lieux « qui sont visibles depuis un lieu librement accessible », y compris les jardins privés, les balcons et les appartements. Cette disposition pose un évident problème, largement débattu pendant la campagne, en termes de respect de la sphère privée des citoyens.

Les fraudes à l’assurance doivent être combattues parce qu’elles minent la confiance dans le système de sécurité sociale et la solidarité entre bénéficiaires des assurances. C’est pourquoi notamment, le code pénal possède déjà une disposition régissant la fraude à l’assurance sociale (art. 148a CP). Toutefois, et c’est là où réside le problème majeur, la nouvelle base légale octroie une prérogative d’ordre étatique et normalement assurée par la police, à savoir la surveillance de personnes privées, à des entreprises privées, par exemple des caisses maladie. La surveillance secrète réalisée par la police fait l’objet d’un contrôle judiciaire et démocratique. Les observations de la police sont encadrées par un procureur. Certains actes de surveillance doivent en outre être approuvés par le tribunal des mesures de contrainte. De plus, les magistrats du pouvoir judiciaire sont soumis à réélection. Dès lors, les actes de surveillance qu’ils ordonnent sont indirectement contrôlés par le peuple qui exerce ainsi sa souveraineté. A l’opposé, la population ne dispose pas de moyen de contrôler les entreprises lorsque celles-ci se comportent de façon répréhensible. Accorder à des entreprises privées des tâches de surveillance des bénéficiaires des assurances sociales entraîne un sérieux risque pour la démocratie. Celui-ci est d’autant plus élevé que le nombre de caisse-maladies n’a cessé de diminuer ces cinquante dernières années, leur permettant d’évoluer sur un marché (quasi) oligopolistique. Comme dans le cas de l’initiative de l’UDC dite d’autodétermination, pour protéger nos libertés, notre Etat de droit et notre démocratie, votons non le 25 novembre à la loi sur la surveillance des assurés !

Emmanuel Deonna

L’auteur est chercheur en sciences sociales et journaliste indépendant, Conseiller Municipal, Ville de Genève & Député suppléant, Grand Conseil genevois, Président de la Commission Migration, intégration et Genève internationale, Parti socialiste genevois.

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