Chronique climatique – La transition nécessaire vers l’hydrogène coûtera très cher



Selon le dernier rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il n’y a pas de temps à perdre. Pour limiter le réchauffement climatique en dessous de 2°C, voire 1.5°C par rapport à l’ère préindustrielle, il est impératif d’arriver à un bilan neutre du CO2 vers 2050, à savoir en émettre autant que l’on peut en soustraire de l’atmosphère. Quelle est la situation suite à la signature du Traité de Paris en 2015 par 197 pays à la fin de la conférence COP21 et à la toute récente conférence COP24 qui s’est déroulée ces derniers jours en Pologne ?

Les investissements dans les énergies renouvelables ont été en 2017 aussi élevés que ceux pour le charbon, le pétrole, le gas et le nucléaire combinés. La croissance des ventes de véhicules électriques explose. On pourrait citer bien d’autres exemples d’efforts et de projets allant dans la bonne direction. Mais cela reste insuffisant. 

L’année prochaine, l’Agence Internationale de l’Energie IEA prévoit que les émissions de CO2 vont atteindre un nouveau sommet (la hausse des émissions mondiales de CO2 a été de 1.6% entre 2016 et 2017 selon le Global Carbon Project. Il est donc impératif d’encourager massivement l’usage d’électricité « verte » (zéro carbone) et son stockage. Pour y arriver, il va falloir d’une part augmenter de façon drastique les productions d’énergie renouvelable, mais d’autre part, n’en déplaise à beaucoup, aussi accepter pour une période intermédiaire un usage étendu d’énergies «conventionnelles», par exemple l’énergie nucléaire «nouvelle génération» et les combustibles fossiles munis de systèmes de capture et de stockage du carbone. Sont écartées ici (comme suggéré dans le dernier rapport du GIEC) les méthodes envisagées de géo-ingénierie que beaucoup estiment trop dangereuses (p. ex. par fertilisation des océans, ensemencement des nuages).

La production d’énergie (charbon, pétrole et gaz naturel, principalement en Chine, USA et Inde), l’industrie (métaux, ciment, chimie), le chauffage et les transports (lourds et légers) sont les principaux responsables des émission de gaz à effet de serre (GES).  L’électricité  semble être le candidat évident pour corriger cette situation, à condition qu’elle soit produite de manière durable, essentiellement par le vent et le solaire dans l’état actuel de la technologie. Cependant, le stockage et le transport de cette forme d’énergie font problème. Et c’est là que l’hydrogène devrait jouer un rôle prépondérant.

L’hydrogène peut être produit de différentes manières. Aujourd’hui, à partir du charbon et du gaz naturel (reformage du méthane). Demain, ce combustible pourra être produit par électrolyse de l’eau – un procédé très énergivore –  avec les excédents de production des énergies renouvelables (p. ex. en été pour le solaire) et/ou lorsque la demande est  trop faible (p. ex. pendant les WE) : donc un « hydrogène renouvelable » (ou « power to gas »). A titre d’exemple, des chercheurs au DoE Berkeley Lab et JCAP (USA) ont développé une nouvelle cellule de production de combustible renouvelable appelé « hybrid photoelectrochemical and voltaic (HPEV) »  qui utilise le soleil et de l’eau pour produire de l’hydrogène et de l’électricité. Une autre découverte récente permettrait de produire ce combustible pour une utilisation dans les piles à combustible à partir de poudre d’aluminium et d’eau dans des conditions spécifiques.

En sa faveur, notons que l’hydrogène est un combustible pouvant être stocké et transporté relativement facilement avec les techniques actuelles (transformation en ammoniaque par le procédé Haber-Bosch, méthanisation, mélange avec d’autres combustibles). Comme il pourra être transporté commodément ou produit in situ par électrolyse de l’eau à partir d’énergies renouvelables, on pourra « faire le plein »  rapidement dans la mesure où un réseau de stations de recharge existe (2 stations en Suisse pour l’instant) comme pour l’essence ou le diesel. Cela représente une autonomie « illimitée », moyennant des temps de recharge équivalents à ceux d’aujourd’hui. Le gros avantage est que les émissions de GES par les piles à combustible sont nulles – si l’on ne tient pas compte de l’empreinte carbone liée à la fabrication des structures. Il est probable que son utilisation principale se fera pour des voitures à grosse cylindrée et pour les véhicules utilitaires, par exemple pour les flottes de véhicules commerciaux qui utilisent une seule unité de recharge centralisée. Il est pour l’instant prévu d’utiliser les batteries plutôt pour les petites voitures particulières à faible cylindrée.

L’introduction massive de véhicules lourds propulsés à l’hydrogène sur de longue distances ainsi que de systèmes de chauffage basés sur ce gaz devraient être possible à plus ou moins long terme. Dans ce contexte, quelques exemples démontrent les efforts de R&D actuels pour d’utilisation de l’hydrogène:

  • La société HyperSolar a développé avec succès un générateur d’hydrogène H2GeneratorTM solaire.
  • Dans le cadre de nombreux projets dans le monde, des bus propulsés par des piles à combustible à l’hydrogène comme source d’alimentation – souvent sous forme hybride –  sont utilisés de manière expérimentale et opérationnelle depuis environ une dizaine d’années
  • La situation est la même pour les camions produits par des entreprises telles que Nikola. Le 1er août 2018, Toyota a dévoilé aux USA son nouveau camion propulsé à l’hydrogène avec une autonomie de plus de 400 km.
  • Le premier train propulsé par des piles à combustible à l’hydrogène construit par Alstom a fait ses premiers tours de roues à Bremervörde en Allemagne le 16 septembre 2018.
  • Toyota a lancé en 2017 sur le marché suisse son modèle « Mirai » à hydrogène (en japonais, mirai signifie « futur »). Un seul problème : le manque de réseau de recharge.
  • En Suède, dans la ville de Värgärda, un lotissement entier tire son énergie du solaire et de l’hydrogène stocké. Lorsque le projet sera terminé, ce seront 172 appartements répartis dans six unités qui seront totalement indépendants de toute source d’énergie extérieure (Renewable Energy Magazine, 28.12.2018).
  • La plus grande usine mondiale de production d’hydrogène par électrolyse devrait être opérationnelle en 2020 en Rhénanie, Allemagne.

Pour lutter activement en faveur d’une société décarbonisée, on estime que la production d’hydrogène devra être multipliée par un facteur 10 d’ici le milieu du siècle et qu’elle pourrait alors supplanter facilement le stockage par batteries.

Tout cela représente un petit pas dans la bonne direction, mais qui nécessitera  l’engagement de chacun au quotidien ne serait-ce que pour exercer une pression financière (p. ex. au travers de la taxe carbone) et sociale (gilets jaunes, actions juridiques) importante sur les gouvernements dont l’objectif devra être de développer un monde durable plutôt que de protéger les intérêts des plus puissants au détriment des plus faibles et vulnérables et de la nature. Tout cela va couter très cher : pour ouvrir les lignes de crédits conséquentes en faveur de la R&D, pour faciliter les investissements de l’économie de manière à assurer une transition programmée vers une société décarbonée,  pour atténuer les conséquences sociales inévitables du changement climatique, entre autres !

Alain Heimo

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