Lettre à un ami – La casbah d’Alger appartient d’abord à ses habitants


Voilà une info qui n’a assurément pas fait le tour du Monde. Ni le tour de France d’ailleurs, à propos d’une nouvelle qui, contenu oblige, constitue à mes yeux une insulte à l’histoire. A la mémoire des Algériens. Des habitants de la Casbah d’Alger! 

A peine quelques bribes ici où là, sur la décision annoncée le 16 décembre par le wali – préfet – d’Alger, Abdelkader Zoukh, de confier le projet de restauration de ladite Casbah à l’architecte français Jean Nouvel. On a passé comme chat sur braises ou comme ombre sur tâches de sang laissées il n’y a pas si longtemps dans cet endroit.

Comme chat sur braises, disais-je, hormis la publication d’une lettre ouverte intégralement publiée dans « L’Huma ». Notamment. Ce n’est pas que je lise ce journal par affinité de pensée. Ma curiosité m’amène à me balader partout là où l’info dans ce monde retient mon attention. Mais celle-ci a de quoi attiser ma stupeur, mon indignation.

Perso, je n’ai rien contre l’architecte Jean Nouvel, ni, je le pense, les plus de 400 signataires, quoi que… « Le 6 mars 1999, il y a bientôt vingt ans, rappellent les signataires, vous titriez “Boulogne assassine Billancourt” dans les colonnes du Monde; un texte courageux s’indignant avec force de la destruction programmée (et désormais réalisée) du patrimoine historique ouvrier que représentait “le paquebot” de l’Île Seguin dans la proche banlieue de Paris. Nous sommes beaucoup à avoir été choqué·e·s en apprenant qu’une convention tripartite avait été signée entre la Wilaya d’Alger, la région Île-de-France et vos ateliers afin de, nous dit-on, “revitaliser” la Casbah d’Alger — étymologiquement, “revitaliser” implique redonner de la vie, ce qui nous permet de nous demander si la vie, pourtant vibrante, qui caractérise aujourd’hui les rues sinueuses de ce quartier n’est pas digne d’être considérée comme telle ».

Nul n’est censé ignorer que cette Casbah, certes en état de délabrement actuellement, dit-on, fut l’un des hauts lieux de la résistance contre le colonialisme français. Détruit qui plus est à trois reprises par l’occupant. D’où ce tonnerre d’incompréhension. Sans parler du coût exorbitant du projet. Qui laisse perplexe. Une Casbah, par définition, porte un lourd héritage, un douloureux passé. Ce n’est pas un terrain de foot qu’on imagine et dessine, en faisant en sorte de remplir les poches des promoteurs, accessoirement des concepteurs. Ce n’est pas une tour non plus. Ni un opéra. Pas davantage une cathédrale ou une mosquée, quoi que. Ce qui vit au plus plus profond d’une Casbah, c’est son âme. Et Dieu sait si celle d’Alger est dotée d’une âme. En peine, certes. Mais elle vit!

Les signataires de la lettre ouverte ne s’y trompent pas, puisqu’ils soulignent en substance que la Casbah d’Alger, bien avant d’appartenir à l’humanité, appartient d’abord à ses habitants. Aux Algériens ensuite… A leurs yeux, toute modification de la Casbah qui ne viendrait pas directement de ses habitants doit faire preuve d’une connaissance et d’un respect sans faille de son passé et de son présent. Plus péremptoire: « Des projets qui n’auraient pas à coeur de servir en premier lieu ses habitants ainsi que le legs historique, politique et culturel de cette ville dans la ville, et qui leur préféreraient des ambitions touristiques ou financières ne sont pas dignes de ce lieu de vie et d’histoire ».

Pierre Rottet

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