Chronique climatique – Capturer le carbone, enjeu vital, très peu de marge de manoeuvre pour agir


Il y a quelques années, on estimait qu’il suffirait de remplacer les sources d’énergie fossile utilisées largement sur notre planète par des sources d’énergie renouvelable telles que le vent et le solaire, d’électrifier les voitures, de rendre plus efficaces les chauffages des maisons, d’utiliser des ampoules LED pour économiser l’énergie, de manger moins de viande  et de protéger la forêt amazonienne pour sauvegarder la biodiversité. 

Malheureusement, les résultats n’ont pas correspondu aux attentes comme l’indique le dernier rapport du GIEC . Les émissions mondiales de CO2 ont grimpé de façon dramatique, à tel point que pour obtenir un bilan neutre d’ici 2050, il faudra d’une part augmenter de façon drastique la production d’énergie basée sur les énergies renouvelables, d’autre part limiter les émissions de GES – à titre d’exemple : les instruments connectés (ordinateurs, tablettes, téléphones) représentent 4% des émissions de GES, dont 90% lors de leur fabrication, soit le double de celles de l’aviation civile! Et pour corriger les dégâts déjà occasionnés, il faudra supprimer environ 1 trilliard de tonnes de CO2 de l’atmosphère de la planète pendant ce siècle et les stocker d’une manière ou d’une autre!

Comment réaliser cette gigantesque capture de carbone ? 

Des éléments de solution sont présentés dans une série de publications récentes remarquables (1) à savoir :

  • développer les systèmes de captage direct du CO2 de l’atmosphère avec enfouissement dans le sous-sol où le carbone peut être fixé à la roche par carbonatation ; 
  • replanter les forêts en rotation continue ; 
  • promouvoir la production de biochar, un amendement agricole ; 
  • promouvoir la bioénergie avec capture de carbone et stockage souterrain ; 
  • appliquer l’altération terrestre forcée à grande échelle. 

Il faut cependant tenir compte du fait que plusieurs de ces options restent encore au stade d’hypothèses de travail.

D’autres méthodes basées sur des méthodes relevant de la bio-ingénierie telles que l’ensemencement de la mer pour favoriser la prolifération d’algues « mangeuses de CO2 » ont été rejetées par le GIEC comme potentiellement dangereuses, surtout par manque de connaissances scientifiques quant aux conséquences potentielles de tels procédés.

Dans le domaine de la capture directe de carbone (DAC : Direct Air capture ; Wikipédia), la Suisse est «à l’avant-garde» estime Sonia Seneviratne de l’Institut des Sciences atmosphériques et climatiques de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), co-autrice principale du rapport du GIEC. En 2017, une première installation industrielle de captage et d’exploitation du CO2 atmosphérique a été développée par l’entreprise ClimeWorks près d’une petite ville de Suisse (Hinwil) à quelques kilomètres de Zurich. ClimeWorks est une des trois entreprises au monde  à même de capter et exploiter le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère (le système peut absorber jusqu’à 900 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent des émissions produites par environ 450 voitures). Mais le procédé ClimeWorks consomme beaucoup d’énergie, qui devra provenir des énergies renouvelables ou de solutions spécifiques.

 Le dioxyde de carbone peut être acheminé vers des serres pour stimuler la croissance des légumes. Il peut également être utilisé dans l’industrie des aliments et des boissons, dans le secteur de l’énergie et dans l’industrie automobile. Une deuxième installation ClimeWorks en Islande utilise l’énergie géothermique abondante sur cette ile et enfouit le carbone à quelques 700 mètres de profondeur. Mais il n’existe pas encore de solutions pour le captage du CO2 à grande échelle et des efforts importants seront requis pour financer la recherche (p. ex. par la taxe carbone) dans ce domaine. 

Il faut garder en mémoire que le potentiel d’injection du CO2 dans l’atmosphère est bientôt épuisé si l’on espère  limiter l’augmentation de la température à 1.5°C. Au rythme actuel d’émissions de 40-50 milliards de tonnes par an,  il ne reste qu’environ 5 ans de capacité de stockage pour l’atmosphère. Ensuite, il sera nécessaire de retirer autant de CO2 de l’atmosphère que l’on en émet par le biais d’émissions négatives : cela signifie qu’il reste très peu de marge de manœuvre pour agir. 

Quel que soient les approches choisies, des investissement massifs, en particulier dans la R&D, seront inévitables. Mais les gouvernements restent peu enclins à payer la facture pour les « techniques d’émissions négatives » pour des raisons politiques, électorales, idéologiques et/ou financières.  Seule la taxe carbone offre le cadre adéquat pour investir dans les technologies adéquates pour assurer la survie de notre société telle que nous la connaissons.

Alain Heimo

(1) Negative emissions—Part 1: Research landscapeand synthesis; Jan C Minx et al.; Environ. Res. Lett. 13 063001

Negative Emissions—Part 2: Costs, Potentials and Side Effects ; Sabine Fuss et al. ; Environmental Research Letters, Vol. 13, No. 6, Article No. 063002; June 2018],

Negative emissions—Part 3: Innovation and upscaling; Gregory F Nemet et al.; Environ. Res. Lett. 13 063003

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