Grimaces et politesse


Qui n’a pas été confronté dans sa vie à l’incompréhension totale, au mutisme ou bien même à la moquerie des uns et des autres? Je veux parler de la question banale qui se veut être une formule de politesse entre personnes bien élevées que l’on se lance en vitesse lorsque l’on croise quelqu’un entre deux trains sur le quai d’une gare, sur le bord d’un trottoir, ou même au téléphone. On se jette mutuellement le très conventionnel «comment ça va?» sans même prêter attention à la réponse. Habituellement, pour ne pas dire plutôt machinalement, dans la plupart des cas les gens répliquent dans un sourire, bien, et toi? Et les voilà qui enchaînent sur ce qui les préoccupe sur le moment. En fait, ils se contentent de se parler à eux-mêmes à haute voix. Pourtant plus d’une fois, j’ai eu envie de répondre, je ne vais pas bien du tout! Mais la réaction de l’autre est toujours la même, car personne n’écoute personne. Pire, je pourrais dire que tout le monde se moque du fait de savoir si vous allez réellement bien ou pas. Ce qui les intéresse au plus haut point, c’est de pouvoir déverser sur vous des mots, des faits, des sujets que vous ne désirez pas forcément aborder, ou entendre, à la minute où cela vous tombe dessus.

Il m’est arrivé un jour, alors que je répondais à une question posée par une personne au sujet d’une amie commune d’entendre le dialogue de sourds qui suit. Inutile de vous dire combien j’ai été choquée. Mon interlocutrice qui se trouvait en face de moi m’a apporté la preuve qu’elle n’était pas à l’écoute.

  -J’ai aperçu Viviane l’autre jour, elle circulait à vespa. Elle avait une mine de papier mâché sous son casque!

  -La pauvre, elle vient de traverser une sacrée turbulence…

  -Nous aussi, figure-toi, nous avions pris un vol de nuit pour Hong-Kong et il y avait un terrible orage en altitude, on a dégusté. Même les hôtesses avaient du mal à se tenir debout!

  -Oui, mais Viviane est restée dans le coma pendant quatre jours…

  -Quelle idée de partir en vacances pour quatre jours. Nous, on prend au moins un mois, c’est ce qu’il faut pour pouvoir se reposer, récupérer, se ressourcer.

  -Heureusement pour elle qu’elle n’est restée déconnectée du monde durant seulement quatre jours. Lorsque je suis allée la voir à son réveil, elle avait un grave problème de syntaxe. C’est comme si elle avait supprimé les mots superflus, tu sais, les mots de liaison, les articles, les adjectifs. Elle parlait vraiment petit-nègre comme on disait autrefois…

  -A Hong-Kong, tu croises pratiquement que des jaunes, normal puisque ce sont des Chinois. On n’a pas encore eu envie de faire l’Afrique. Ca vaudrait le détour, juste pour voir les animaux sauvages.

  -Actuellement, elle est encore en congé de maladie, elle a vraiment besoin de se reposer à la maison…

  -Elle a de nouveau pris des vacances? Tu sais qu’elle ne m’a même pas envoyé une carte postale. C’est ça l’amitié? Il y a des cybercafés partout, même dans les endroits les plus reculés!

  -Viviane était dans le coma…

  -Et il est où ce trou perdu?

Emilie Salamin-Amar

Extrait de «Papiers de soi, encres d’ailleurs» Edition Planète Lilou 2011

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