Lettre de Lima – Une crise de confiance qui n’est pas sans rappeler une autre situation insurrectionnelle…


Retour à la case départ pour l’ex-dictateur péruvien Alberto Fujimori. Une case départ nommée prison, de laquelle il n’aurait jamais dû sortir. Il avait obtenu la grâce du président Kuczniski fin 2017. En échange d’un deal scandaleux avec le clan fujimoriste pour éviter sa destitution. Mal lui en pris puisque Kuczniski fut acculé à la démission quelques semaines après.

Retour en prison, donc, après la décision de la Cour suprême d’annuler cette grâce en octobre 2018, avec l’ordre d’arrêter l’ex-dictateur, à l’époque soigné dans une clinique, d’où il est sorti aujourd’hui jeudi pour être amené dans sa cellule. Enfin cellule… une prison plus que confortable, avec son jardin et sa mini-clinique privée. Son salon particulier. L’ex-dicateur, aujourd’hui âgé de 81 ans, avait été condamné le 7 avril 2009 à 25 ans de détention pour crimes contre l’humanité et à 8 autres pour corruption – les années ne se cumulant pas au Pérou.

Fujimori rejoint ainsi sa fille Keiko, elle aussi « au trou » pour corruption. Celle qui fut défaite de justesse aux élections présidentielles de 2011 et de 2016 subit actuellement une peine préventive, en attendant son jugement. Avec son incarcération, c’est l’ensemble du système « fujimoriste » qui s’effondre. Son parti, « Force populaire », largement majoritaire au Congrès il y a quelques mois, est aujourd’hui à la dérive, après des décisions suicidaires pour éviter des poursuites judiciaires à certains de ses membres. Dont le procureur général, soit la plus haute autorité en matière judiciaire, suspendu pour corruption.

Pedro Chavarry, le procureur en question, avait unilatéralement destitué début janvier les juges Rafael Vela et Domingo Pérez, qui enquêtaient sur quatre ex-présidents et la leader de l’opposition, Keiko Fujimori. Ces deux juges ayant été depuis rétablis dans leurs fonctions, après le tollé populaire.

Suicide politique ou baroud de la dernière chance. Le fait est que le fujimorisme ne s’en relèvera sans doute pas, au même titre que son allié l’Apra de l’ex-président Garcia, lui aussi aux portes de la prison. Comme des dizaines et des dizaines de politiciens et de hauts magistrats du système judiciaire. Déjà enfermés ou dans l’attente de l’être. Tous pour des motifs semblables, à savoir la corruption. Un mal endémique, que tentent d’enrayer par une grande lessive les responsables de l’opération «Lava Jato», dans le cadre du blanchiment d’argent et de corruption impliquant la société pétrolière brésilienne Petrobras.

D’où le raz-le-bol de la société péruvienne, d’une partie tout au moins. Selon un sondage publié le 23 janvier par « El Comercio », 44% des Péruviens disent ne sympathiser désormais avec aucun parti politique. Une crise bien réelle, qui a tendance à s’accentuer, s’agissant des représentants des élus actuels de la République. De là à rechercher un point commun avec ce qui se passe en France à propos de la confiance politique…, il y a un pas. Que je franchis sans problème.

D’autant que les Gilets jaunes ont ma sympathie. Contrairement aux casseurs. Qui ont autant à voir avec les revendications des Gilets jaunes qu’un groupe pétrolier n’en a avec la santé de la planète. Malheureusement on ne peut que déplorer les amalgames, la propension qu’ont certaines TV, dans leurs JT, à trop souvent focaliser avec insistance leurs caméras sur les violences.

Cela dit il faudrait être aveugle, ou de mauvaise foi, pour ne pas se rendre à l’évidence que la fracture entre gouvernement et base populaire a quelque chose d’irréversible. Dans le climat insurrectionnel que vit son pays, le président Macron ferait bien de méditer sur les conclusions du rapport sur la concentration de la richesse de l’ONG Oxfam: 26 milliardaires détiennent désormais autant d’argent que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Et d’appeler les Etats à taxer les plus riches. 

Le malheur est que cette réalité semble échapper au pouvoir. Et à trop de médias. Pas étonnant que, selon une étude du quotidien « La Croix », l’intérêt du public pour l’actualité se trouve à son plus bas niveau depuis trente ans! « Seuls 20% des Français font encore confiance aux médias. En leur contenu ». « Près de deux sondés sur trois pensent que les journalistes ne sont pas indépendants vis-à-vis des partis politiques ni des pressions de l’argent ». De quoi faire gamberger les Gilets jaunes…

Des Gilets jaunes dont le mouvement semble loin de s’essouffler. Ces deux derniers samedis, ils étaient encore plus de 84’000 en France. Alimentant la polémique quant aux violences des forces de l’ordre, que persiste à minimiser le ministre Castaner, alors que des manifestants ont été éborgnés par des flash-balls. Tandis que «Libération» s’inquiète de la multiplication des dérives, le journaliste David Dufresne estime que la répression menée contre les Gilets jaunes « laissera des traces pour toute une génération ».

Pierre Rottet

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