José Ribeaud (1935-2019), «Quand on disparaît, seul reste ce qu’on a donné»


Journaliste de talent, homme de télévision, pionnier du Téléjournal romand, promoteur d’une radio régionale et d’une haute école spécialisée malgaches, José Ribeaud nous a quittés à l’aube du 2 février, dans un hôpital de Berlin. Né en 1935 à Cœuve, dans le Jura, il s’était retiré dans la capitale allemande avec son épouse en 2007 déjà.

En dehors de celle du Jura et de La Liberté de Fribourg, la presse s’est montrée bien discrète sur la vie et les œuvres de cet amoureux de la langue française, viscéralement attaché au plurilinguisme, mais hostile aux dialectes alémaniques ; hostilité qui lui avait valu les foudres de ses confrères alémaniques Christophe Büchi, correspondant de la NZZ en Suisse romande, et Roberto Bernhard, correspondant de ce journal auprès du Tribunal fédéral. La riposte à l’article du premier  (« Quand José Ribeaud dérape », 24 heures, 20 avril 2016), avait été cinglante : «  […] pourquoi vous est-il si douloureux de reconnaître que l’usage croissant et généralisé du Mundart altère et même paralyse le dialogue interlinguistique ?  Comment conforter vos lecteurs dans l’illusion que les affronts faits aux minorités latines n’aggravent pas la détérioration des liens confédéraux, indispensables à la compréhension réciproque et à la cohésion nationale ? »

José Ribeaud avait commencé par exercer l’activité de syndicaliste pendant trois ans avant de se consacrer à l’enseignement du français, d’abord à Moutier, puis dans le Sahara, à El-Goléa, l’oasis où est enterré Charles de Foucauld, ainsi qu’en Allemagne, en Italie et en Angleterre.

Devenu journaliste en 1963, c’est lui qui présente le premier journal télévisé pour la Suisse romande le 2 octobre 1966 à 20 heures. Ce Téléjournal romand est alors réalisé dans un studio à Zurich, il dure une quinzaine de minutes, mais c’est un faux direct préalablement enregistré à 19 h. 30. Il en est le rédacteur en chef de 1970 à 1982. L’un de ses souvenirs les plus marquants a été l’interview d’Alexandre Soljenitsyne qu’il avait réalisée en 1974.

François Gross l’avait engagé à la Télévision romande. C’est à lui qu’il succède comme rédacteur en chef de La Liberté, quotidien qu’il dirige pendant six ans (1990-1996). Sans ancrage fort à Fribourg, contrairement à son prédécesseur, ou à son successeur, Roger de Diesbach, il entretient des relations conflictuelles avec une partie de l’équipe rédactionnelle fribourgeoise. Il parvient néanmoins à renforcer l’enracinement du journal dans sa région, avec l’ouverture de bureaux de rédaction à Payerne, puis à Bulle – fief de La Gruyère, le trihebdomadaire repris en 1976 par les Imprimeries Saint-Paul. En 1993, il endosse la création de Romandie Combi, pool publicitaire et rédactionnel romand. 

Hostile à l’ultralibéralisme et au « repli identitaire », attaché au plurilinguisme comme on vient de le voir, José Ribeaud est l’auteur de Kurt Furgler à cœur ouvert (L’Aire, 1996) et de La Suisse à l’heure de vérité (Ed. Universitaires Fribourg, 1992). Après son départ à la retraite en 1996, il signe encore Quand la Suisse disparaîtra (L’Aire, 1998), La Suisse plurilingue se déglingue (Alphil, 2010), Maudite décharge (Alphil, 2014), un ouvrage consacré à l’assainissement de terrains à Bonfol que l’industrie chimique avait transformés en dépotoir, sans oublier un livre admiratif dédié à Didier Burkhalter, humaniste et homme de convictions (Alphil, 2018).

Renouant avec son engagement en Afrique quarante ans plus tôt, il crée et préside la Fondation Avenir-Madagascar, domiciliée à Zurich, laquelle pilote divers projets qu’il a initiés en 1999 lors de séjours dans la Grande Ile : notamment à Antsirabe, sur les Hauts-Plateaux malgaches, Radio Haja (Dignité), une radio éducative de proximité créée par l’Evêque du Diocèse, et l’Ecole Supérieure Spécialisée du Vakinankaratra (ESSVA), une école polytechnique privée qui dispense un enseignement de niveau Bac + 3 (HES) placée sous la responsabilité morale de ce même évêque.

Son engagement en faveur du plurilinguisme en Suisse et de la coopération technique à Madagascar lui a valu le Prix de la Fondation Oertli pour ses reportages sur la Suisse alémanique, romanche et italienne (1987), la qualité de membre d’honneur de l’Association suisse des journalistes catholiques (2002), le Prix catholique de la communication décerné par la Commission des médias de la Conférence suisse des évêques (2003) et la Médaille de l’Ordre national malagasy pour son engagement en faveur du développement.

Avant de s’en aller, José Ribeaud a donné l’ensemble de ses archives, notamment celles concernant la décharge chimique de Bonfol, aux Archives cantonales jurassiennes. Il avait déclaré à cette occasion : « Quand on disparaît, seul reste ce qu’on a donné » ! Et comme il a incontestablement beaucoup donné, il restera dans nos mémoires. 

Jean-Philippe Chenaux

Sources : Chronologie jurassienne : Ribeaud, José ; Le Pays, 20 mai 1970 ; Pierre Kolb, « José Ribeaud largue ses amarres », La Liberté, 30-31 mars 1996 ;Françoise Tschanz, « Un journaliste toutterrain – “La Suisse somnole” », Coopération, 26 août 1998 ; Jacques Berset, « Défendre un journalisme de qualité et la liberté du journaliste », La Liberté, 12 mars 2002 ; Serge Gumy, « La Liberté pleure José Ribeaud », La Liberté, 4 février 2019.

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