Chronique climatique – Seule une révolution ou une catastrophe d’envergure…


De constater le retentissement qu’ont obtenu les manifestations pour le climat des étudiants suisses et européens est réjouissant. D’entendre que certains d’entre eux ont été punis pour leur action montre que l’obscurantisme règne même là où on ne l’attendait pas… Il ne faut pas se laisser décourager par de telles réactions difficilement compréhensibles de la part de ceux qui sont censés éveiller l’esprit et la curiosité de leurs élèves, il faut poursuivre le combat et surtout il ne faut pas prendre exemple sur le WEF où environ 3000 délégués réunis au fond d’une vallée suisse se sont crus à nouveau l’élite de notre société pendant quelques jours : il semble que l’édition de cette année a démontré une nouvelle fois la distance entre Davos et le reste du monde, même en l’absence du climatosceptique en chef, du président français peut-être soucieux de ne pas se montrer dans ce club de riches, mais avec le nouveau Président du Brésil qui semble suivre allègrement les pas de son homologue du Nord. Heureusement que nos Conseillers Fédéraux étaient présents, tous fiers d’avoir la possibilité de discuter avec les « Grands » en tant qu’hôtes de la manifestation. 

Mais la réalité va très vite rattraper les participants au WEF, en tout cas en ce qui concerne le réchauffement climatique : le World Resources Institute vient de publier un rapport qui démontre que les objectifs établis lors de la signature de l’Accord de Paris en 2015 en termes de limitation du réchauffement climatique n’ont aucune chance d’être atteints dans l’état actuel des choses. Ce n’est guère une surprise : l’objectif semble trop optimiste pour être réalisé par la gouvernance internationale actuelle profondément influencée par sa survie politique et par les objectifs à court terme de l’industrie et de l’économie. Il semble qu’il faudra une révolution et/ou une catastrophe de grande envergure pour obliger les gouvernements à prendre conscience de la gravité de la situation. Et il ne s’agit pas seulement du changement de climat, mais également de la dramatique perte de biodiversité qui a lieu sous nos yeux et de l’immense pollution – principalement provoquée par l’homme – qui sont en train de nous étouffer.

Réchauffement global ? Biodiversité ? Comme le démontre le récent rapport du GIEC, l’effet de serre est déséquilibré par l’augmentation des émissions de CO2 dues aux activités humaines… ce qui implique que le climat se dérègle avec des conséquences souvent graves pour la biodiversité. Toujours selon le GIEC, la capacité naturelle d’adaptation de nombreux écosystèmes sera dépassée au cours de ce siècle par la combinaison sans précédent de perturbations diverses : dans ces conditions, le réchauffement climatique pourrait bien devenir la principale cause de disparition des espèces d’ici la fin du siècle. Telle est également la constatation d’une des plus importantes études consacrées à la biodiversité jamais menée jusqu’ici, le second “Millennium Ecosystem Assessment” (Evaluation des écosystèmes à l’aube du millénaire, à laquelle ont participé 1360 chercheurs du monde entier. Et selon le rapport « Climate change, impacts and vulnerability in Europe 2016 » de l’Agence européenne pour l’environnement, 14% des habitats et 13% des espèces d’intérêt européen souffrent  du changement climatique.

On comprend mieux pourquoi les changements climatiques peuvent exercer une telle influence lorsque l’on sait que c’est le climat qui détermine en bonne partie l’aire de distribution des espèces, l’impact des perturbations naturelles comme les incendies de forêts et la disponibilité en nourriture. En Europe, près d’un cinquième des habitats sont menacés et ce sont les tourbières et les marais qui font partie des habitats les plus vulnérables.

Beaucoup d’espèces terrestres, d’eau douce et marines commencent déjà à modifier leurs aires de répartition géographique, leurs activités saisonnières, leurs schémas de migration, leurs abondances et leurs interactions avec d’autres espèces pour tenter de s’adapter aux nouvelles conditions environnementales par exemple en termes de prolifération d’espèces invasives, de modifications dans la phénologie, d’impacts sur les régions montagneuses (les jours de l’edelweiss, la “reine” des Alpes, risquent bel et bien d’être comptés!) etc…

Ce sont surtout les espèces qui sont déjà menacées qui auront le plus à souffrir. Des écosystèmes uniques et menacés comme, par exemple, les récifs coralliens seront soumis à des risques très élevés comme on le voit déjà aujourd’hui. De manière moins visible et peut-être plus dangereuse, certains changements (par exemple pour la toundra boréale ou la forêt amazonienne) peuvent avoir un impact substantiel sur le climat en libérant dans l’atmosphère le carbone stocké dans la biosphère.

Dans une approche plus spécifique, les conséquences de ces dérèglements peuvent être diverses et il est difficile de séparer les effets du réchauffement climatique des conséquences directes de l’activité humaine. Deux exemples :

  • Selon un document publié par Birdlife international, 40% des quelques 11.000 espèces d’oiseaux connues sont sur le déclin et une espèce sur huit serait menacée d’extinction. Et ce constat alarmant s’étend pour toute la planète, assure l’ONG spécialisée dans la protection des oiseaux. En Suisse, 40% des espèces d’oiseaux nicheurs risquent de disparaître dans un proche futur. 
  • En ce qui concerne les poissons, le thon rouge, le saumon, la tortue, le cabillaud, la sole, la raie sont des espèces menacées. L’anguille, poisson « suisse » de l’année 2018, est en voie d’extinction. De plus, 30% des prises mondiales sont le fait de pêches illégales (WWF) et la pêche au chalut sans quotas est responsable de la mort de milliers de dauphins. Les techniques de pisciculture sont néfastes pour l’environnement à cause de l’usage intensif d’antibiotiques, de pesticides, de stéroïdes, d’hormone et de … farines de poissons : entre 1950 et 2013, 25% des captures de poisson dans le monde ont été faites pour la production de farine et huile (ONG Bloom).

Actuellement, la perte de biodiversité et les changements dans l’environnement qui y sont liés sont particulièrement rapides. La disparition d’espèces a toujours fait partie du cours naturel de l’histoire de la Terre, mais c’est l’activité humaine qui a accéléré le rythme naturel d’extinction : des études récentes estiment que le taux d’extinction des vertébrés aujourd’hui, même sous des conditions stables, est 100 fois supérieur que le taux d’extinction naturel (Ceballos): il est comparable à une crise biologique majeure puisque d’ici à 2050, on considère que 25 à 50 % des espèces auront disparu, y compris dans les océans : nous serons à la fois la cause et les victimes de cette sixième extinction de masse…(notre-planete.info).

Est-il raisonnable d’espérer une action globale de la part des gouvernements ? Si l’on en croit les récentes décisions prises aux USA par le premier des climatosceptiques, la récente élection de Andry Rajoelina à Madagascar et celle de Jair Bolsonaro au Brésil – pour ne citer que les plus récentes – , il semble que les décisions annoncées mènent à la destruction de l’environnement avec les remises en cause des protections et réglementations environnementales (p. ex. le retrait des accords de Paris et la protection de la forêt amazonienne confiée au ministère chargé de l’agroalimentaire au Brésil) pour encourager l’exploitation minière et/ou l’agriculture à grande échelle. 

Pour reprendre un des slogans des manifestations récentes : « Pas de futur sans une belle nature ».

Alain Heimo

Photo Arboretum

Tags: ,

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.