Lettre de Lima à un ami lecteur – «Suiza Amor por el Verano 2019»


Or donc l’ex-dictateur Alberto Fujimori demeurera en prison. Enfin, enfermé, histoire d’être plus précis. Ainsi en a décidé cette semaine la justice péruvienne après un recours déposé contre la décision de la Cour suprême d’annuler une grâce présidentielle, scandaleusement monnayée fin 2018. Et si j’ajoute que l’étau de la justice se resserre autour des magouilles financières des quatre derniers présidents élus qui succédèrent à Fujimori…

Bref, au Pérou aussi, la vie suit son cours. Et avec elle rayonnent les sectes, qui s’y engouffrent à coups de prosélytisme sur fond de populisme. En exploitant – sous le couvert d’une religion taillée à leurs étroites visions et à leur convenance – les pires ignorances et misères ou encore les vides béants laissés par des partis politiques minés et décrédibilisés par les affaires de corruption.

Au Pérou comme ailleurs sur ce continent du reste, elles font florès, vent en poupe, en affichant des idées plus proches de l’obscurantisme que du bon Dieu, s’il existe. Ce qui réjouit des hommes d’extrême-droite, à l’image d’un Bolzonaro au Brésil, notamment, qui engrangent les voix. Mêmes impénétrables! Pas étonnant, pour qui se balade dans les rues de Rio. Ou plus simplement dans mon quartier, à Lima. Sur un peu moins d’une dizaine de km2, j’en ai compté une cinquantaine, avec des slogans que ces sectes ou mouvements pentecôtistes n’hésitent pas à attribuer “au Seigneur”. 

Pour certaines, à chaque jour suffit son remède miracle. Y compris les samedis soirs, réservés non aux bals musettes, mais aux réunions lucratives de « los casos imposibles ». Autrement dit, les cas impossibles. Bon, tu me diras que je mets au rancard mon esprit critique pour oser la plaisanterie: je la pousse pourtant en mettant cette secte-là au défi de l’expérimenter sur des Trump, Bolzonaro ou autre Maduro. Pour rester en Amérique! N’est-il pas?

Navrant! Je veux parler des 26 morts – au moment d’écrire ces lignes -; des dizaines et des dizaines de blessés; des milliers de personnes qui ont tout perdu dans certaines régions du nord du Pérou. Mais pas que… Des drames qui se répètent dramatiquement chaque année avec leur lot de misère, à la même époque, en raison des pluies diluviennes et des glissements de terrains. Des débordements des rivières. Mais de cela, bien entendu, tu n’en as pas entendu parler dans nos médias, qui zappent allègrement sur le sujet. Navrant!

Une anecdote pour terminer cette lettre. Peut-être la connais-tu? En ce cas, souffre qu’elle fasse office de doublon. Pour ma part, elle m’a été narrée par le consul de Suisse à Lima. C’était l’autre soir, dans les jardins de la résidence de l’ambassadeur, lors d’une fête placée sous le slogan « Suiza Amor por el Verano 2019 ». Tu connais ma propension à bien l’aimer, l’été, moi qui le vis… perpétuellement, si j’ose.

Le décor avant l’histoire: un orchestre, une jeune chanteuse à la voix fort envoûtante; une piste de danse plus fréquentée qu’un meeting politique du Parti socialiste français, histoire de répondre aux invitations des rythmes musicaux latinos…; de quoi se sustenter aussi, y compris en rafraîchissant le palais par des glaces; des Suisses, évidemment, bien sud-américanisés, «lâchés» sur la piste de danse, en compagnie de Péruviens et autres sud-américains, des habitués du déhanchement gracieux.

De l’endroit où je me trouvais – un fin tacticien ou un observateur qui se respecte le qualifieraient de stratégique -, j’ai compté les gens. Il y avait autant de sourires. Tu l’as compris, une belle ambiance. Pour une belle fête. Avec ce qu’il faut de diversité de boissons pour étancher les soifs. Y compris le Pisco Sour qui est au Pérou ce que la damassine est au Jura. Pardon à l’Ajoie! Et puis du vin aussi qui, s’il avait été péruvien ne m’aurait pas dérangé. Sauf que dans le cas présent, il venait en droite ligne de Suisse. Cela à la suite d’une motion déposée il y a quelques années par le Valaisan Christophe Darbellay, qui s’était un jour étonné de boire du vin espagnol lors d’une réception à l’ambassade de Suisse à Pékin.

Du vin venu d’Espagne. Non mais! Si au moins il avait été le fruit de la production de la vigne en Pays Basque. En pays basque… ou des coteaux de Catalogne. Tu t’en doutes, je suis loin des idées et de l’étiquette politiques de Christophe Darbellay, pourtant j’ai partagé avec délice le verre proposé. Avec à la clé la preuve que la motion du Valaisan n’avait pas été déposée en vain.

Pierre Rottet

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