A une époque où les tendances autocratiques font florès, le journaliste est plus que jamais cette bête qui dérange les pouvoirs


N’ayez pas peur! 

Paraphraser la bible pour motiver des journalistes relèverait de la provocation gratuite si la formule ne s’accordait pas avec une certaine mystique. Dans un climat général délétère, j’aimerais privilégier une approche constructive, basée sur des faits objectifs, mais aussi et surtout le courage des convictions.

La crise de la presse papier précarise la profession mais elle n’engloutira pas le journalisme. 

Affirmons d’abord un axiome: ce métier, on ne le fait pas pour l’argent. Si vous avez vu des journalistes pantoufler dans la com’ et les relations publiques, ce qui a dû vous arriver à plus d’une reprise, c’est que le casting souffrait d’évidentes lacunes. Dites-vous que ces journalistes ont sacrifié au confort matériel leur vocation, quand ce n’est pas leur idéal de liberté et de justice. Journalisme et propagande sont deux notions antinomiques.

Dissipons ensuite un malentendu qu’entretiennent les réseaux sociaux. L’internet, facebook, twitter ou instagram créent la confusion dans les esprits en faisant croire que tout le monde participe à l’information. Les journalistes sont inutiles, lit-on partout. Les intéressés ne démentent pas, bizarrement. Pourtant ils devraient se rebeller. Les réseaux sont des activités qui n’ont rien à voir avec le journalisme. Sinon pourquoi ne pas donner le Pulitzer au roi des tweets, Donald Trump?  

Quel avenir pour le journalisme, demandait le président de l’Association de la presse étrangère en Suisse lors d’un panel auquel j’ai participé à l’Université de Genève? Ma réponse, en substance: l’internet révolutionne le modèle économique du journalisme, certes, mais la toile bouleverse parallèlement toutes les professions. Je provoquerai en posant la même question pour la médecine, par exemple. Si j’ai un bobo, je vais surfer sur un moteur de recherche où je trouve la solution au problème. Ce n’est pas pour autant que je serai médecin et que je je guérirai forcément… La différence, c’est que le journalisme n’est pas une profession protégée. Pourtant ce métier a ses codes, ses valeurs, ses commandements que sont la Charte de Munich et la Déclaration des devoirs et des droits. « Rechercher la vérité, en raison du droit qu’a le public de la connaître et quelles qu’en puissent être les conséquences pour le journaliste » .

La fin du modèle économique basé sur la publicité induit la recherche de nouvelles sources de revenus. La presse papier est-elle entièrement condamnée pour autant? Non, elle peut trouver son bonheur dans des expériences locales, la quête de nouvelles dédaignées ailleurs, les expositions, les concerts. Financée par une communauté d’intérêt, un parti politique, elle redonnerait du lustre aux débats d’idées, elle sortirait le journalisme d’une information aseptisée. Méprisée, vilipendée, la presse d’opinion a disparu. On se demande pourquoi. Pourtant la presse d’opinion est aussi l’avenir du journalisme. Parce qu’elle est le ciment d’une communauté donnée. Le journaliste doit être au service d’un idéal intellectuel et civique. L’artisan d’une rigueur professionnelle dans le respect de la Déclaration des devoirs et droits du journaliste dont l’article 10 stigmatise clairement toute collusion entre le rédactionnel et la publicité. Le journaliste ne saurait être le vecteur complaisant de la propagande consumériste, voire même belliqueuse. La guerre a changé de visage, elle s’est transposée sur le terrain économique mais elle sévit, imposant son lot de conformismes et d’autocensure. Sans démocratie véritable, pas de journalisme. Le journaliste doit retrouver le courage d’un engagement.

« Le journalisme, c’est de faire savoir ce que d’autres ne veulent pas qu’on sache. Tout le reste n’est que relations publiques » , disait Orwell. Traduisez: le journaliste est un emmerdeur. Ce rôle d’empêcheur de tourner en rond est essentiel à la bonne marche d’une société. Je paie des impôts dans une région, j’aimerais être informé sur la gouvernance de cette région. 

A une époque où les tendances autocratiques font florès, le journaliste est plus que jamais cette bête qui dérange les pouvoirs, qu’ils soient politique, économique ou religieux. Affirmer que le journalisme est en crise, remplacé par M. et Mme Tout le monde, relève somme toute d’une logique tactique utilisée par ces mêmes pouvoirs. Discréditer pour affaiblir. Notre profession ne peut et ne doit pas jouer le jeu de ceux qui veulent la détruire. Chacune, chacun d’entre nous doit s’inscrire vigoureusement en faux contre ces affirmations dépréciatives. Le respect de l’autre passe par le respect de soi.

Il est aussi important que les jeunes générations de journalistes ne renient pas les valeurs véhiculées par leurs aînés. Qu’elles intègrent la rigueur exprimée dans la Déclaration des devoirs et des droits. Sans adhésion inconditionnelle à cette charte, pas de statut de journaliste. Mieux vaut un effectif comprimé mais compétent et motivé à une plate-forme diluée sans caractère et sans âme. Il n’appartient pas à notre organisation professionnelle de brader la carte de presse, sacrifier la qualité du professionnalisme au prestige des chiffres d’adhérents. Et au confort matériel. A moyen terme, une telle tentation n’offrirait pas plus de sécurité qu’un mirage. 

N’ayez pas peur!

Christian Campiche

Allocution prononcée le 22 mars 2019 à Fribourg lors de l’Assemblée des délégués de l’organisation faîtière des journalistes suisses impressum.

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