Du bon usage de l’Histoire?


Quelques  récentes tentatives  de mettre en relation la situation actuelle avec celle des années 1930 n’ont pas manqué d’être critiquées à juste titre: il n’était pas difficile de prouver que la complexité des différents contextes menaçait la pertinence  du parallèle, et qu’en l’occurrence comparaison n’était pas raison. Mais à l’heure où se multiplient les célébrations, politiques ou simplement publicitaires, d’anniversaires qui sont autant d’instrumentations, de récupérations, voire de privatisations du passé, il est bon de s’interroger sur la légitimité de ces démarches. Et de se poser cette simple question: le recours à l’Histoire est-il un instrument de compréhension du présent, ou est-ce l’inverse? Car si les théories “présentistes” ont bien montré que le passé est dans une large mesure une construction du présent, la projection rétrospective de nos attentes et des nos espoirs risque bien d’engendrer des anticipations trompeuses. Et des lendemains qui pleurent.

Les développements programmés pour l’extraction minière, la navigation aérienne et maritime ou la construction de nouvelles routes, par exemple, montrent que le principe de précaution est toujours sacrifié sur l’autel du Progrès, de la Croissance et du sacrosaint P.I.B.. Mais, nous dit-on, l’humanité a toujours trouvé des moyens pour s’en sortir, et les futures inventions remédieront aux dangers qui menacent. A quoi sert donc l’Histoire? A nous rassurer face aux perspectives apocalyptiques qui s’annoncent, comme le rêvent les adorateurs inconditionnels de la technologie, chargée de résoudre toutes les difficultés? Mais cet optimisme naïf et myope oublie que chaque nouvelle invention a toujours généré de  nouveaux problèmes, et refuse de voir que nous sommes peut-être en train de changer de paradigmes. 

Question d’échelle d’abord, car la mondialisation modifie la donne, et l'”effet papillon” (Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas) est en train de se rappeler à notre bon souvenir. Quant à l’extinction des espèces, elle montre assez le caractère systémique des processus. Or jamais encore l’impact des activités humaines sur le milieu naturel n’a atteint cette ampleur: pollution, déchets, épuisement des ressources ont des conséquences universelles. Et jamais non plus les apprentis sorciers n’ont disposé de moyens aussi puissants. Ceux qui sont responsables du désastre seront-il capables de le réparer ?

Question de tempo ensuite, car l’accélération généralisée des phénomènes semble affecter tous les domaines, du bétonnage à l’exploitation des ressources, à la communication, à l’économie ou à la démographie. On assiste partout à un emballement incontrôlable, résultat d’une perte de maîtrise éthique et sociale, qui remet en question la confiance aveugle en une technologie salvatrice. De plus, parier sur de inventions futures pour remédier aux dégâts d’une croissance infinie, c’est aussi ignorer le risque possible d’un seuil ou passage à la limite qui changerait les règles du jeu et rendrait irréversibles les dommages subis. Car rien ne nous garantit que, dans le cadre de ces nouvelles dimensions, les vieilles recettes soient encore valables, et que les mécanismes attestés dans le passé puissent encore fonctionner. Enfin, plutôt que de la technique, les vrais problèmes sont du ressort de la psychologie, de la politique et de l’économie: l’égoïsme individualiste ou national, la courte vue des responsables obnubilés par leur réélection, et la toute puissance du marché sont les obstacles majeurs aux décisions urgentes que la simple prudence devrait imposer. Dans cette perspective, quelles leçons peut-on attendre de l’Histoire? La question reste plus que jamais ouverte.

Philippe Junod

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