Le syndrome de Rome


Les italiens furent, des siècles durant, les banquiers de l’Europe. Les Médicis, pour ne citer qu’eux, prêtèrent intensivement aux têtes couronnées britanniques ou françaises. Souvenons-nous du mariage – de raison – d’Henri IV avec Marie de Médicis également appelée « la grosse banquière ». Que s’est-il passé dès la seconde moitié du XXème siècle pour que l’Italie se retrouve dans une situation cataclysmique ? Quel retournement de fortune radical tout de même, qui vit la dette publique de ce pays s’envoler de 36% du P.I.B. à la fin des années 1960 pour dépasser les 120% au début des années 1990 !

De fait, le déficit budgétaire italien fut quasiment toujours supérieur à 10% du P.I.B. durant cette période, qui fut marquée par une envolée spectaculaire des dépenses absolument pas compensée par une amélioration des recettes fiscales, à une période où le service de la dette représentait déjà un poste substantiel car les taux étaient loin d’être négatifs… Pour autant, cette frénésie d’emprunts et de dépenses ne devait absolument pas se traduire en un redressement qualitatif d’une croissance économique endémiquement fragile qui ne manqua du reste pas de faillir à la première (grosse) bise venue, à savoir la crise des années 2007-2008 ayant vu l’endettement public italien s’aggraver à 130% du P.I.B.

Ce n’est évidemment pas le gouvernement en place depuis juin 2018 qui inversera la tendance puisque, en fait, il s’active méticuleusement à l’aggraver, jusqu’à un point de non retour qui semble se rapprocher jour après jour. Après avoir flirté avec l’idée fort pratique et démagogique par excellence de quitter l’euro, il concocta un plan incluant de fortes réductions d’impôts, des subventions tous azimuts et la réduction de l’âge du départ à la retraite … pour se faire immédiatement sanctionner par les marchés financiers qui propulsèrent le rendement de la dette italienne sur 10 ans au-dessus de 3.5%, à des niveaux plus vus depuis près de 5 ans au plus fort de la crise des dettes souveraines. Au final, en dépit d’une rétractation de l’exécutif actuel italien dont le budget fut retoqué par la Commission Européenne, ce pays se finance à des prix plus élevés que l’Espagne et que le Portugal alors que, historiquement, il avait toujours joui de meilleures conditions de financement de sa dette publique que ces deux pays.

Aujourd’hui, tout est possible dans une Italie officiellement entrée en récession depuis le second semestre 2018 : un nouvel accès de fièvre intense sur sa dette souveraine, une crise majeure de son système bancaire qui accumule des quantités astronomiques de dette nationale, et qui deviendra notoirement et dangereusement sous capitalisé en cas de hausse des taux d’intérêt. A moins que certaines banques italiennes ne se décident – pour se sauver – à brader certains de leurs actifs, mettant ainsi en péril l’économie avec un risque évident d’accentuation de la dépression. Certains, dans la coalition actuellement aux affaires, misent sur une intervention de la Banque Centrale Européenne contrainte d’apaiser les marchés au vu de l’importance et de la taille de l’économie italienne. En fait, les populistes au pouvoir tentent purement et simplement de prendre la banque centrale en otage.

Quoiqu’il en soit, et même dans la meilleure des hypothèses, la dette publique italienne confisque d’ores et déjà l’agenda européen et affecte structurellement l’ensemble de la zone euro, car elle l’empêche de devenir plus résiliente aux chocs financiers. Ne serait-ce que par principe, comment imaginer un instant que certaines nations admettent l’ombre de l’idée de la mutualisation des dettes en présence d’un tel fardeau ? L’Union Européenne est donc condamnée à rester inachevée et à afficher encore et toujours ses fragilités – et donc à déplaire à l’écrasante majorité – tant que subsisteront de tels déséquilibres, car rien ne pourra se faire d’efficient ni de convaincant ni de pérenne tant que les dettes européennes n’auront pas été mutualisées !

Les dirigeants italiens sont, du reste, parfaitement conscients du levier qu’ils ont à leur disposition et qu’ils ne se privent évidemment pas de brandir. Résultat : la vulnérabilité extrême de l’Italie est aujourd’hui une arme qu’ils n’hésiteront pas à utiliser contre l’Union laquelle paniquera et composera, à juste titre, car les 2’400 milliards d’euros de dette publique italienne dépassent largement la taille de son économie. Tous les chemins mènent donc toujours à Rome, si ce n’est que la descente aux enfers de ce pays menace la stabilité  – voire l’existence – de l’euro.

Michel Santi

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