Un Manifeste post-(néo)libéral pour le 21e siècle


A l’occasion de son 175e anniversaire, l’hebdomadaire britannique The Economist a consacré un numéro du mois de septembre 2018 à la publication d’un manifeste. Intitulé A manifesto for renewing liberalism, il veut redonner un sens au libéralisme jugé moribond dans le contexte du 21e siècle naissant. La première phrase donne immédiatement le ton: «Le libéralisme a créé le monde moderne, mais le monde moderne est en train de se retourner contre lui.»

La charge est sévère pour un journal qui a voué son existence, sur le plan économique, à promouvoir et défendre le libre-échange et, sur les plans politique et social, les droits individuels face à toute ingérence étatique.

Le libéralisme se trouve mis en échec par des défis qu’il n’a pas pu – ou pas voulu – affronter dès la fin du communisme soviétique en 1991. De ce point de vue, il a failli. Même si ses succès sont certains au cours de son histoire, ils ont rendu nombre de ses partisans arrogants, avides de profits personnels et insensibles aux problèmes auxquels le monde est désormais confronté: les bouleversements géostratégiques, le changement climatique, les concentrations économiques et financières, les économies émergentes, les inégalités croissantes, les technologies du futur notamment.

En ce sens, beaucoup de libéraux sont devenus… des conservateurs ou pire des illibéraux, qu’abhorre l’hebdomadaire britannique. D’où la nécessité de repenser cette doctrine économique pour l’appliquer au contexte présent.

Un nouveau contrat social

Dans ce texte programmatique, The Economist s’attache non seulement à expliquer les échecs actuels, mais entend aussi proposer des réponses adaptées aux problèmes auxquels le monde entier se heurte. Il est intéressant d’en relever les aspects les plus saillants.

Le manifeste regroupe les problèmes soulevés en quatre grands thèmes principaux: la libre concurrence, l’immigration dans les sociétés ouvertes, le nouveau contrat social, le combat pour un ordre mondial libéral. Limitons-nous ici à ce qui est dit dans la partie consacrée au nouveau contrat social.

Pour The Economist, le point de départ est clair: «Si les démocraties libérales veulent continuer à faire progresser leurs citoyens, elles ont besoin d’une nouvelle forme de protection sociale. Et pour pouvoir se permettre cette réforme de l’aide sociale, elles ont besoin d’un régime fiscal à la fois plus efficace et mieux adapté pour encourager ce que la société veut promouvoir et décourager ce qui lui fait du tort.» Il s’agit de s’attaquer à cette question en intégrant les grands changements qui bousculent le système de l’Etat-providence tel qu’il a été bâti après la deuxième guerre mondiale: l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, le fait aussi que beaucoup plus de ménages que par le passé sont composés d’une seule personne adulte. 

Dans le même élan et eu égard aux transformations technologiques, les emplois sont beaucoup moins susceptibles de durer toute la vie et l’horaire fixe tend à disparaître. Certaines personnes aspirent d’ailleurs à occuper plus d’un emploi à la fois, en particulier quand l’une des occupations est une passion que l’autre permet financièrement.

Plus important encore, en termes de dépenses, les soins de santé sont de plus en plus coûteux et les gens vivent beaucoup plus longtemps. Comment faire? «Le système a tenté de faire au mieux, en particulier pour éviter l’épuisement des fonds publics. Mais l’adaptation n’a été ni suffisante ni populaire: le relèvement de l’âge de la retraite n’a pas suivi l’allongement de l’espérance de vie, les bénéficiaires de pensions versées par l’Etat n’aiment pas que l’âge de la retraite soit relevé.»

L’accent sur la formation

The Economist relève que l’on en a beaucoup trop peu fait pour aider les gens à s’adapter aux changements dans le monde du travail. «Le besoin considérablement accru de congés parentaux et de certaines formes de garde d’enfants n’a guère été pris en compte.» L’insuffisance de l’investissement dans les formations en cours d’emploi ne répond pas au besoin des personnes exerçant une activité lucrative d’améliorer leurs compétences ou d’en acquérir de nouvelles. Cette lacune apparaît clairement avec les effets de la robotisation et de l’intelligence artificielle sur le monde du travail, qui mettent à rude épreuve la capacité des gens à prévoir les compétences dont ils auront besoin et la façon dont leur carrière évoluera.

«Cela signifie qu’une refonte libérale de l’Etat-providence commence par l’éducation.» Mais pas n’importe comment: l’effort doit notamment être porté sur les formations préscolaires qui auront «beaucoup plus d’impact sur les chances des enfants pauvres dans la vie que les dépenses consacrées aux universités. Et les gens peuvent avoir besoin d’une formation et d’une formation continue longtemps après leurs années d’université et d’apprentissage». Il y a donc lieu de modifier considérablement les priorités dans ce domaine.

Ainsi les nouvelles approches devraient mettre moins l’accent sur les institutions et davantage sur l’aide à la personne pour surmonter les obstacles rencontrés. En ce sens, le manifeste plaide pour un soutien accru au système du crédit d’«apprentissage tout au long de la vie».

L’idée que la formation professionnelle doit accompagner la personne toute sa vie n’est pas nouvelle, mais elle devient d’une forte actualité dès lors qu’elle peut trouver un front plus large pour la soutenir et la rendre effective.

Réformer la fiscalité

Ces idées sont séduisantes, mais comment les financer? La question des réformes fiscales est au cœur de la suite de la réflexion. A cet égard, le manifeste s’attarde longuement sur l’idée d’un «revenu de base universel», à laquelle il n’est pas opposé, et sur la réforme de l’imposition du revenu et de la fortune.

Il soutient notamment que «la main-d’œuvre, en particulier la main-d’œuvre non-qualifiée, devrait être moins imposée […] Réduire l’écart entre les impôts sur le capital et les impôts sur le travail permettrait de contrer l’asymétrie en faveur du capital; et si les investissements en capital étaient déduits de l’impôt sur les sociétés, cela ne devrait pas décourager l’investissement […] Les taxes sur le carbone et autres externalités négatives, bien qu’elles ne constituent pas une panacée aux problèmes du changement climatique, représenteraient également une réforme dans la bonne direction».

L’excès d’accumulation de richesses met en évidence la nécessité d’adapter la fiscalité à celles et ceux qui produisent et non plus à la rendre plus bénéfique à celles et ceux qui en profitent. 

Au moment où le groupe de réflexion Avenir Suisse veut privatiser La Poste et quelles que soient les orientations politiques de chacune et chacun, le manifeste publié par The Economist donne matière à discuter. S’il ne reste pas lettre morte, il indiquera peut-être le chemin du 21e siècle vers un post-(néo)libéralisme.

Laurent Tissot

Domaine Public

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