Dans le viseur des censeurs, Woodrow Wilson après Pury, Agassiz, Morand, Nolde et le Corbusier?


L’esclavagisme, la traite négrière, des pratiques abominables qui font partie de l’histoire de  plusieurs pays occidentaux, dont le nôtre, heurtent logiquement de plus en plus la sensibilité des opinions publiques. Si bien que plusieurs hommes illustres jusqu’ici considérés comme des célébrités ou même des bienfaiteurs de leur communauté commencent à devenir des personnages controversés, voire encombrants. 

Emblématique est le cas de David de Pury. Ce négociant devenu une personnalité du XVIIIe siècle, éminemment opulente grâce à ses activités dans le commerce international en Amérique notamment, a fortement contribué à la prospérité de sa ville de Neuchâtel. Cependant, la mémoire de ce mécène est désormais passablement ternie du fait que son négoce comprenait certaines transactions honteuses comme celles de bois d’ébène, autrement dit, le commerce d’esclaves. Ceux-ci arrivaient du Mozambique sur des navires dont certains portaient le nom de Pays de Vaud ou Ville de Lausanne.

Autre célèbre personnalité descendue de son piédestal: Louis Agassiz. Le glaciologue, botaniste, zoologiste et géologue neuchâtelois de renommée mondiale a tenté de prouver l’infériorité de la race noire par rapport à celle des Blancs. Devant un tel travers, la Ville de Neuchâtel a décidé de débaptiser l’espace Agassiz – situé sur un terrain universitaire éponyme. Sans vouloir nier les mérites de ce scientifique helvétique, les édiles font passer au premier plan l’image de l’Alma Mater au niveau international.

La polémique s’étend à Lausanne où une «avenue», disons plutôt une ruelle, porte le nom du célèbre botaniste (photo le Médusé). Moins catégorique, la municipalité adopte la position du Normand dans sa réponse toute fraîche à une interpellation du député Vincent Brayer, lequel l’avait questionnée, le 2 octobre dernier. Il lui demandait d’exposer sa position «quant à cet héritage complexe». La municipalité admet en substance le caractère raciste des positions d’Agassiz mais elle n’entend pas enlever la mention qui l’honore dans le quartier du Petit-Chêne. Tout au plus, posera-t-elle «un panneau d’information complémentaire» sous la plaque de rue, «afin de replacer dans son contexte historique la personnalité de M. Louis Agassiz». 

Au 20e siècle, c’est la compromission avec les dictatures sanglantes qui prend la relève pour écorner l’effigie d’autres personnages jusqu’ici sereinement installés dans le Larousse. Vevey, par exemple, s’est démarquée de Paul Morand, écrivain français et diplomate dont la proximité avec le régime de Vichy et l’antisémitisme lui valurent l’opprobre en France à la Libération. Morand aima Vevey où il choisit de vivre son exil. La cité de la Riviera en tira une fierté avant d’actionner les trompettes de la disgrâce. Une plaque commémorative honorant l’intellectuel et apposée sur une façade du château de l’Aile, où vécut l’écrivain, a été retirée il y a quelques semaines.

Porter un jugement sur le passé avec les lunettes d’aujourd’hui: le phénomène ne touche pas seulement la Suisse. En France où l’on projette de lui dédier un musée, le Corbusier fait l’objet d’une polémique depuis la parution de biographies mettant en évidence les sympathies d’extrême-droite du célèbre architecte chaux-de-fonnier. Tandis qu’en Allemagne, Angela Merkel n’a trouvé aucune circonstance atténuante à Emil Nolde en raison de son adhésion au parti nazi. Ce qui n’avait pas empêché le peintre expressionniste de subir les foudres des censeurs hitlériens. Assimilées à l’art «dégénéré», ses toiles furent confisquées, voire détruites. Las, la chancelière vient de décrocher les toiles de Nolde des murs de son bureau.

Genève cèdera-t-elle à son tour à la mauvaise conscience ambiante en débaptisant le célèbre quai qui porte le nom d’un ancien président des Etats-Unis? La question mérite d’être posée même si personne ne s’est encore hasardé à le faire au bout du lac. Car Woodrow Wilson, puisque c’est de lui qu’il s’agit, traîne aussi une casserole, et non des moindres. Personnalité marquante de la politique américaine et mondiale, grand artisan de la paix – il a lancé l’idée de la Société des Nations – , ce résident de la Maison Blanche jugeait que «la ségrégation n’est pas une humiliation, mais un avantage et devrait être considéré comme tel…». Joignant les actes à la parole, il avait instauré un ostracisme sévère à Washington,  entraînant le renvoi pur et simple d’une majorité des employés noirs de l’administration… 

Philippe Zutter et Christian Campiche

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