Mobilité douce, la bataille pour l’espace public


Depuis quelques années, la mobilité douce se diversifie avec l’émergence de nouveaux moyens de déplacement. Après le vélo électrique, voici qu’apparaissent le gyropode, la planche et la trottinette électriques. Autant de moyens qui demandent de la place dans l’espace public. Un exigence complexe et conflictuelle.

En matière de déplacement, la voiture a bénéficié pendant longtemps de la priorité dans nos villes. Le premier combat a consisté à faire de la place aux transports en commun avec la création de couloirs pour les bus et les trolleys. Puis on a créé les pistes cyclables. Tous ces nouveaux espaces pour la mobilité ont mordu sur les routes et les places de stationnement affectées à la voiture. 

Aujourd’hui, les modes de mobilité douce se sont diversifiés avec l’apparition de nouveaux moyens à propulsion électrique: le vélo, la planche et la trottinette. Ces moyens se diffusent très rapidement car répondant à une demande. Mais en l’absence de règles claires de circulation, ils engendrent des conflits. Et, surtout, ils demandent de la place.

Preuve en est l’éditorial récent du directeur de l’Association transports et environnement (ATE) On se bouscule sur les trottoirs (Magazine 1/2019, p. 49). Anders Gautschi affirme qu’il ne s’oppose pas aux nouvelles technologies et autres innovations mais «tout bien considéré, ces gadgets n’ont rien à faire sur les routes ou les trottoirs parce que nous avons moins de place qu’en Californie». Et d’ajouter que ces engins électriques n’apportent aucun avantage en matière de santé. Bel argumentaire plein d’ambivalence et d’ambiguïté et qui ne résout pas le problème. 

L’exemple parisien: le Far West

L’arrivée de la trottinette électrique à Paris est riche d’enseignements. Y séjournant fréquemment, j’ai pu observer à la fois l’engouement pour ce nouveau moyen de déplacement et l’insécurité que son usage provoque. On circule parmi les voitures, dans les couloirs réservés aux bus et vélos, mais également sur les trottoirs où l’on abandonne les trottinettes. La trottinette électrique est adoptée aussi bien par les jeunes urbains actifs que par des touristes asiatiques et des familles en visite à Paris.

La trottinette électrique ne s’achète pas mais se loue. Sa location fonctionne selon le principe du free floating, soit sans bornes fixes. Elle est géolocalisée. L’utilisateur la déverrouille au moyen d’une application chargée sur son smartphone et il règle le paiement en fonction de la durée d’utilisation. Une fois le trajet effectué, il abandonne l’engin à destination selon sa convenance. Chaque soir, les engins sont récupérés pour être rechargés et déposés le matin sur les trottoirs.

En quelques mois, une dizaine de sociétés, dont Uber, se sont lancées à l’assaut du marché en déposant ici ou là dans les rues des milliers de trottinettes accessibles en libre-service. Un véritable Far West, selon la Mairie de Paris. 

Malgré l’absence de bases légales, en cours de discussion au Parlement français, la Mairie de Paris a décidé de mettre un peu d’ordre dans ce grand bazar. Elle veut créer des zones de stationnement spécifiques, délimitées sur la chaussée ou sur certains trottoirs assez larges. Elle envisage de faire signer aux exploitants un charte de bonne conduite. Pour limiter leur invasion, la Mairie prévoit le paiement par les opérateurs d’une redevance proportionnée à l’importance de leur flotte.

La trottinette en Suisse

La trottinette électrique débarque également dans notre pays, à Zurich d’abord et de manière plus concertée. Une start-up américaine (Lime) a remporté l’appel d’offres et propose 350 engins. Des aires de stationnement sont prévues où elles peuvent être rechargées, ce qui évite leur abandon n’importe où sur les trottoirs. 

La ville vient d’octroyer à six sociétés l’autorisation de mettre en service 1’600 trottinettes électriques. Elle ne veut pas en limiter le nombre et compte sur la concurrence pour réguler le marché. L’introduction d’une taxe à verser en fonction du nombre d’engins fait encore débat au sein du législatif communal. 

Des opérateurs visent d’autres villes. A Bâle, un projet pilote est mené avec une société (Ibion), filiale de Swisscom. 

Les règles de circulation applicables aux vélos valent pour les trottinettes. Interdites de trottoir, elles doivent en principe rouler sur les pistes cyclables à une vitesse maximale de 20 km/h Le port du casque n’est pas obligatoire. Le TCS a mis les trottinettes électriques à l’épreuve.

La lutte pour le trottoir

Avec l’arrivée de la trottinette, il devient urgent d’arbitrer l’utilisation de l’espace public entre les différentes pratiques de la mobilité douce (marche, vélo, vélo électrique, trottinette, trottinette électrique, gyropode). 

Jadis domaine réservé et protégé du piéton, le trottoir est devenu l’un des espaces les plus convoités de la ville. On en a réduit la surface pour aménager des places de stationnement des deux roues de location ainsi que des bornes de chargement pour les véhicules électriques. Des terrasses de café y trouvent place. C’est sur sa bordure que s’adossent les livreurs pour décharger et que les taxis prennent ou déposent leurs passagers. Et aujourd’hui, les utilisateurs de trottinettes ne se gênent pas pour l’utiliser malgré les interdictions. 

C’est pour défendre l’espace-trottoir que l’association Mobilité piétonne Suisse a déposé récemment sa pétition Le trottoir aux piétons. L’association «s’oppose à ce que des planifications inadéquates pour la pratique du vélo soient corrigées au détriment des déplacements à pied». Elle demande que tous les piétons, les plus âgés, les parents avec des jeunes enfants ou encore des personnes en situation de handicap se sentent en sécurité sur les trottoirs.

Les défenseurs du vélo ne sont pas en reste pour faire valoir leurs intérêts. Les voies cyclables ont été inscrites dans la Constitution fédérale. La Confédération et les cantons ont dix ans pour réaliser des réseaux continus de voies cyclables. On peut déjà anticiper les conflits d’utilisation en milieu urbain. 

Il faut noter que la fréquentation des pistes cyclables par les vélos électriques a conduit, ces dernières années, à une augmentation substantielle des accidents. Ce contexte explique sans doute la proposition de la gauche zurichoise visant à réaffecter quelque 50 kilomètres du réseau routier de la Ville en tronçon réservé aux cyclistes.

L’utilisation de l’espace public destiné à accueillir les différents modes de mobilité douce ne peut se limiter à une réponse standard. Il faut certes des règles de circulation qui définissent de manière générale les questions de sécurité (vitesse, port du casque) et de responsabilité (de l’utilisateur comme du loueur de l’engin). Mais les situations urbaines sont spécifiques. A chacun son espace de circulation ou un espace partagé? Pendant longtemps, on a privilégié la première solution.

Mais faute de place pour satisfaire tous les engins de déplacement, il faudra plutôt choisir un partage de l’espace public dans une logique de cohabitation avec un ralentissement des vitesses. Et la marche doit être favorisée comme mode de déplacement pour passer d’un mode de transport à un autre, en valorisant les parcours piétonniers.

Michel Rey

Domaine Public

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