Dans “Monde animal”, Blaise Hofmann réussit un récit très suisse aux genres pluriels


Le dernier livre du voyageur Blaise Hofmann s’ouvre sur un cheminement nocturne dans la neige par -15 degrés, quelque part dans le Jura vaudois.

PAR JULIEN SANSONNENS

La nature, disons l’environnement immédiat, s’invite dans le récit dès les premières lignes: sensation de la glace sous les semelles, sapins, brindilles, le froid contre le visage. L’homme finira par atteindre une grange, quelques planches mal fixées, dans laquelle il passera une nuit pénible. Un feu, l’air, la terre, comme symboles de cette quête d’une certaine authenticité rustique.

Car cet ouvrage retrace une quête. Aux quatre coins de la Suisse romande, le narrateur semble rechercher les traces, au sens propre comme au figuré, d’un monde animal sauvage, disons aussi inaltéré, dénaturé par l’homme que possible. Vaste projet, forcément voué à l’échec ! Le narrateur le reconnaît d’ailleurs, qui s’interroge sans illusions: «que reste-t-il de sauvage en Suisse?»

L’une des forces du livre consiste justement à exposer ce «business du sauvage», cette vente lucrative d’un mythe et d’un fantasme à une population de plus en plus urbaine et étrangère au vivant. Si l’on pense bien entendu aux safaris africains et autres voyages organisés au milieu de vastes réserves artificielles, l’auteur met le doigt sur un commerce du même acabit, nettement moins connu, sévissant sous nous latitudes. Le monde de l’ornithologie semble particulièrement concerné: la description d’un voyage organisé sur le Léman est particulièrement saisissante. Afin d’attirer un oiseau rare dans les viseurs des photographes, les organisateurs déversent quantité de pain autour de l’embarcation, jusqu’à créer un nuage de mouettes, lequel sera ensuite gentiment déplacé jusqu’au milieu du lac, afin d’attirer le précieux volatile. D’autres exemples illustrent combien le sauvage est chez nous régulé, encadré, organisé, que l’on pense à l’observation du gypaète barbu en Valais, touristiquement intéressante: afin d’amener le rapace près de l’arrivée d’une télécabine, on hésitera pas à amener des carcasses d’animaux déposées aux endroits les plus photogéniques.

On devrait toujours publier côte-à-côte la photo de l’animal et celle du photographe en situation. On verrait alors un peloton serré de naturalistes à torse nu, qui sirotent des bières tièdes. En fond, la station d’arrivée de la télécabine et le bassin turquoise des Walliser Alpentherme… Notre cabine s’ouvre. Deux cent mètres, c’est ce qu’il faut marcher pour atteindre le bord de la falaise, un cirque rocheux que le gypaète utilise comme ascenseur thermique. La commune de Loèche y a récemment tendu un câble de sécurité. Plusieurs panneaux interdisent de jeter des détritus.

L’ambition pédagogique de l’ouvrage, mais sans que le ton ne soit professoral, est très appréciable. En peu de pages, on apprend beaucoup: nidifications d’oiseaux, vies d’insectes, histoire de la réintroduction du gypaète barbu en Suisse en provenance du zoo de Kaboul, dentition du silure… A lire Hofmann on se remémore des souvenirs d’enfance, une forme d’émerveillement naïf et touchant dans la découverte d’un univers proche et vaguement inquiétant, en tous les cas mal connu. On a apprécié tout autant le souci des lieux, du terroir local: chaque observation est située, avec un intérêt pour la géologie, le sol, le relief et l’histoire. Cet ancrage dans le local permet d’en souligner la spécificité. Pas besoin de faire des milliers de kilomètres: un monde inconnu et hautement diversifié s’offre à nous, à deux pas. Un monde gratuit et qui, fort heureusement, ne «sert à rien». Un monde menacé aussi, à l’image du drame vécu par ces espèces dont il ne reste plus qu’une poignée d’individus, à l’image de l’ibis chauve, en danger critique d’extinction.

Il n’était sans doute pas facile d’écrire un tel livre, toute la difficulté résidant dans le fait d’exprimer un amour, un respect du monde animal, sans tomber dans la niaiserie ni la banalité. Comment raconter la nature, comment la dire? Blaise Hofmann, en écrivain talentueux, y est parvenu magnifiquement. Alors bien sûr, on peut parfois percevoir au travers du récit quelques restes de bons sentiments, mais la justesse du propos et la beauté de l’écriture l’emportent.

Ce petit ouvrage, joliment illustré, est une véritable réussite, un livre intelligent qui nous parle de la Suisse romande sous un angle original, qui évoque l’état de notre monde sans prêcher ni moraliser. L’auteur nous donne à voir du pays, c’est un récit très suisse aux genres pluriels, ni tout à fait témoignage, ni tout à fait manifeste. Véritable éloge du local, Monde animal nous invite à ouvrir les yeux: c’est déjà beaucoup.

“
Monde animal”,
 par Blaise Hofmann, Editions d’autre part, 2016

L’auteur: Licencié en Lettres à l’Université de Lausanne, il a travaillé comme aide-infirmier, animateur, berger, enseignant. Auteur de sept romans et récits de voyage, il reçoit en 2008 le Prix Nicolas Bouvier au festival des Étonnants Voyageurs de Saint Malo et la Bourse Leenaards 2009. Il écrit aussi régulièrement pour la scène et sera l’un des deux librettistes de la Fête des Vignerons en 2019 à Vevey.

Julien Sansonnens

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2 commmentaires à “Dans “Monde animal”, Blaise Hofmann réussit un récit très suisse aux genres pluriels”

  1. Pierre-Henri HEIZMANN 17 décembre 2016 at 10:41 #

    Le lobby de la nature… une étonnante réalité! Il n’y a qu’à comparer le nombre de spécialistes tant biologistes, ingénieurs environnementaux, experts en étude d’impacts, juristes de tous poils qui travaillent, observent, auscultes et dissertent sur des territoires dit naturels voir sauvages dans lesquels plus qu’un poignée de personnes vivent au quotidien… souvent dans des conditions économiques extrêmement précaires, et qui sont finalement que les seuls véritables acteurs naturels de ces espaces, lucratifs au final pour la pléthore des précités….
    Merci à Blaise Hofmann pour sa pertinente réflexion.

  2. michelle 17 décembre 2016 at 13:26 #

    La nature vient en ville par son marché. Depuis la consigne des diététiciens “manger 5 légumes ou fruits par jour” ce dernier rencontre toujours plus de succès auprès des jeunes familles. Mais il y a un hic, chaque fin d’année, faute de relève, on dit au revoir à une famille de cultivateurs qui vient apporter ses produits directement du domaine. En général, ils ont largement dépassé l’âge de la retraite. Cette année c’est au tour de Juliette Pahud 80 ans. Merci Juliette pour ta gentillesse et présence sur la place par tout temps et toute température, tout au long de ces 60 années !
    Il n’y pas que la recherche et l’immobilier qui comptent pour notre pays…
    Ceux qui cultivent cette terre ont hérité d’un savoir-faire millénaire, ils sont une partie de l’âme de notre région, Mesdames et Messieurs nos édiles, ne les laissez pas tomber. C’est ça aussi la cop21, manger local. Comme disait l’indien Geronimo quand tu auras tout vendu tu t’apercevras que l’argent ne se mange pas.

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