Où va l’horlogerie suisse?
PAR CHRISTIAN CAMPICHE
Le campus horloger qu’un géant du luxe genevois construit à grands frais à Meyrin ne doit pas faire illusion: l’heure est aux restructurations et à l’introspection. La branche a vécu sur un trop grand train de vie, elle paie une certaine mégalomanie et un manque de prévoyance.
A Interlaken et Lucerne, les touristes japonais font la queue devant les magasins de montres où les accueillent de braves étudiants déguisés en mandarins. Les responsables du marketing des groupes horlogers helvétiques affectent le bonheur mais omettent d’ajouter que le marché suisse ne constitue qu’une petite partie du chiffre d’affaires. Les ventes indigènes ne sauvent pas la mise sur les rapports de gestion.
Les horlogers suisses accusent le franc de pénaliser leurs résultats. Mais la raison principale du retour de balancier est ailleurs. Les fabricants de montres ont oublié l’élémentaire prudence. Ils ont investi tous azimuts pour satisfaire des rêves de grandeur. Aujourd’hui ils paient la note. En Asie, les ventes s’effondrent. Les stocks s’accumulent, importants.
Mais surtout, et c’est bien plus grave, une certaine culture horlogère se perd. Tombées aux mains de financiers obnubilés par le rendement spéculatif, les usines ont négligé le goût du travail bien fait. Le souci de l’innovation. Elles ont délégué la qualité aux concurrents asiatiques. Dans leur aveuglement et leur autosatisfaction, elles n’ont pas réalisé que les Chinois étaient autre chose que des pigeons et des contrefacteurs. Dans le haut de gamme, l’Empire du milieu offre aussi de la bonne mécanique. L’horlogerie suisse va-t-elle droit dans le mur? Aux yeux de nombreux artisans jurassiens, toutes les conditions d’une bulle sont réunies. Son éclatement menace un tiers des effectifs.
Confirmation par les chiffres officiels:
http://www.24heures.ch/economie/Coup-de-froid-tenace-sur-les-exportations/story/29806702
Liliane Held-Khawam, Pierre Rottet et vous-même nous offrez en ce premier dimanche enneigé, trois analyses fort pertinentes, qui si il est vrai, ne sont guère réjouissantes, illustrent l’état de déliquescence de notre société occidentale, où compromission et vénalité demeurent son unique moteur…
Par quel moyen sommes-nous en mesure de modifier ce courant toxique et dévastateur? Chaque jour je m’interroge et me dis la mort dans l’âme, qu’il est déjà peut-être trop tard…
Finalement maintenir le cap à titre individuel en appliquant jour après jour, les valeurs de respect d’autrui et en protégeant à notre niveau notre milieu naturel, voilà une profession de foi certes humble, mais qui donne de la joie.
N’est-ce pas l’essentiel?
C’est bien dit, Pierre-Henri! Il est vrai que la Méduse sort souvent des sentiers battus et son message peut paraître parfois noir dans sa critique des gouvernances. Mais sa vocation est aussi d’offrir des pistes. “Boussoles pour un monde à la dérive” n’était pas pour rien le slogan du “Radeau de la Méduse”, l’ancêtre de la Méduse, lancé en 2003. Dans ce contexte, ce journal devrait véhiculer de l’espoir. Et voilà aussi pourquoi les contributions originales, sous forme d’articles ou de commentaires, sont les bienvenues, à côté des tribunes offertes aux plumes en déshérence et à la poésie.