Merci pour la question


Pour Hillary Clinton, les emmerdements volent en escadrille, selon la fameuse expression de Jacques Chirac.

PAR MARC SCHINDLER

Après l’affaire des emails qu’elle a envoyés de son serveur privé, après la nouvelle enquête du FBI sur les emails trouvés sur l’ordinateur de sa plus proche conseillère, nouvelle tuile: le réseau WikiLeaks révèle que la présidente du Comité national démocrate, Donna Bazile, a passé à Hillary Clinton une question avant un débat organisé par la chaîne CNN, dont elle était analyste politique.

Vous me suivez? CNN payait une célèbre supporter démocrate pour faire à l’antenne des commentaires politiques sur la campagne présidentielle, alors que la chaîne sponsorisait un débat télévisé. Bien sûr, CNN jure ses grands dieux que Donna Bazile n’avait pas d’informations sur le contenu du débat. N’empêche qu’elle a transmis au directeur de campagne d’Hillary Clinton une précieuse information. Selon le “New York Times”, une participante au débat poserait la question: si elle était élue, que ferait Hillary Clinton pour aider les gens de Flint, dans le Michigan, qui ont été empoisonnés par le plomb contenu dans l’eau? Ce problème était un scandale national, à cause du laxisme des autorités locales et une sacrée patate chaude pour la candidate démocrate. WikiLeaks révèle une belle confusion des genres entre information et militantisme politique. Et un méchant coup à l’impartialité de CNN, qui a fait un excellente audience avec les débats électoraux et de juteux contrats publicitaires.

Pour un journaliste, ce cas d’école pose un autre problème: est-ce qu’il faut donner à l’avance ses questions avant une interview ou un débat? Bien sûr que non. L’interview, c’est un dialogue et une confrontation, c’est poser des questions pour obtenir des réponses. Et relancer l’interlocuteur tant qu’il ne répond pas. Le journaliste doit donner le sujet de l’interview et ses thèmes, pas les questions. Sinon l’interview sera un catalogue de questions et de réponses préparées par le service de com’. Ce n’est plus de l’information, mais de la communication. Le journaliste est corseté dans un exercice sans spontanéité et sans possibilités de relancer l’interviewé.

Durant ma carrière à la télévision suisse romande, je me souviens d’une stupéfiante interview d’un diplomate suisse à New York. Mon confrère avait eu la malencontreuse idée de lui donner à l’avance le texte des questions. A la première question, l’ambassadeur répondit sans rire: la réponse à cette question est contenue dans ma deuxième réponse. Du coup, le cameraman avait cadré le micro! J’ai toujours résisté aux pressions de mes interlocuteurs pour connaître à l’avance mes questions. Parfois, j’ai dû céder quand c’était une condition non négociable.

Lorsque j’avais organisé un débat télévisé avec Elisabeth Kopp, la ministre suisse de la Justice, son conseiller avait exigé les questions pour qu’elle puisse se préparer. Son argument: elle parle bien français, mais elle est de langue allemande. J’avais donc envoyé par fax mes questions. Le jour du débat, la ministre était un peu tendue et j’avais bavardé avec elle pour la mettre à l‘aise. Avant d’entrer dans le studio, son conseiller s’était empressé de lui remettre un paquet de notes préparées. Elisabeth Kopp avait avoué, confuse, qu’elle avait oublié ses lunettes et qu’elle ne pouvait pas lire ces fiches. Elle avait été très bonne dans le débat, alors que son conseiller se morfondait dans un coin du studio.

En 1972, j’étais à Téhéran avec une équipe de la TV suisse pour faire une interview du Shah d’Iran dans son palais d’été. Nous étions une dizaine de journalistes suisses. La veille, le ministre à la cour chargé de l’information avait demandé à chacun de lui remettre par écrit le texte de nos questions. Une condition pour avoir l’interview. Parmi d’autres questions, j’avais candidement demandé si Sa Majesté savait qu’une de ses cousines avait été arrêtée à l’aéroport de Genève avec de la drogue dans sa valise. Le ministre de l’information s’était étranglé, on ne pose pas cette question au Shah! Je lui avais répondu que j’espérais une réponse, car l’affaire avait choqué les Suisses. Le lendemain, j’avais bien rencontré le Shah, mais, en raison d’un agenda trop serré, le temps était trop court pour qu’il puisse m’accorder une interview. Dommage, il aurait pu me dire: merci pour la question.

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