Ah, quel bonheur d’être Suisse !


Le passeport rouge à croix blanche, c’était le rêve de Salvatore Scanio, un Italien de 45 ans, né à Genève, un secondo comme on dit. Il parle deux langues nationales, il dirige une entreprise, il s’implique dans la vie sociale, il paie ses impôts. Alors, Il a demandé sa naturalisation avec sa femme et ses trois enfants, à Nyon où il a acheté une maison. Recalé pour « insuffisance de connaissance en civisme », a décidé la commission de naturalisation !

L’histoire que raconte le couple recalé aurait enchanté le père Ubu. Face au couple Scanio, six conseillers communaux de différents partis. Un véritable interrogatoire : citez trois fleuves qui prennent leur source en Suisse. Mme Scanio mentionne le Rhône et le Rhin, mais bute sur le troisième. « Vous ne connaissez pas l’Inn ? ». C’est une rivière dans les Grisons , à l’autre bout de la Suisse, certainement peu connue des habitants de Nyon ! On lui demande de décrire le drapeau de la commune, elle le confond avec celui du canton. On lui demande de citer une date importante pour la Suisse. Elle choisit 1291, la date mythique du pacte fondateur de la Confédération. Mais elle ignore, comme la plupart des Suisses, les noms des trois bourgmestres signataires du pacte. Son mari se mélange les pinceaux sur les noms des membres du gouvernement cantonal. Recalé, mais le couple pourra se présenter à une nouvelle audition après avoir suivi une formation !

Le président de la commission explique sa doctrine : « Le fait qu’il soit né ici n’est pas un critère prépondérant. Nous devons nous assurer que les futurs Suisses connaissent bien notre système politique, garantit d’une stabilité qui a traversé les siècles ». Même s’il reconnaît que « la plupart des Suisses ne passeraient pas le test ». A Nyon, 25% des requérants sont recalés en première instance. L’histoire du couple italien a fait réagir la Suisse. Même le président de la Confédération a écrit aux Scanio pour manifester sa solidarité. C’est que la commission de naturalisation de Nyon a une conception rigide de la procédure. Une jeune Française, née en Suisse et bien intégrée dans le milieu associatif, qui a même appris à faire la fondue et à « parler vaudois », a elle aussi été recalée. On lui reproche de ne pas avoir lu la brochure civique éditée par la commune ! Cette histoire rappelle un célèbre film de 1978 « Les faiseurs de Suisses », dans lequel des fonctionnaires de la police cantonale chargés d’examiner les candidats à la naturalisation traquaient une famille italienne.

Le problème, c’est qu’en Suisse, ce sont les communes qui sont compétentes pour accorder le passeport suisse. Pourquoi ? Parce que chaque citoyen est bourgeois d’une commune. La naturalisation n’est pas une procédure administrative, mais politique. L’obtenir s’apparente à la roulette russe. Comme l’explique le professeur d’histoire Pierre-Philippe Bignard, dans « Le Temps » : « L’obtention de la citoyenneté suisse passe donc par un test qui devrait porter sur le mécanisme et la genèse du plus exigeant des systèmes politiques : celui de la démocratie indirecte, commune aux démocraties, mêlée de démocratie directe, originale, associée à un fédéralisme qui relève, lui, d’une histoire longue ». Et voilà pourquoi votre fille n’est pas Suisse! En Suisse, 40 000 étrangers reçoivent le passeport suisse chaque année. Mais dans certains communes de Suisse centrale, on naturalise au compte goutte. C’est l’assemblée communale qui décide. Il vaut mieux être Italien que Kosovar. Et ne pas avoir des ennemis au village ! En plus, la naturalisation n’est pas gratuite. Le passeport suisse coûte environ 2000 francs selon les communes.

En février, les Suisses ont accepté à 60% un projet de naturalisation facilitée pour les étrangers de la 3e génération. Cela représenterait environ 25 000 jeunes étrangers, surtout des Italiens, des Espagnols, des Portugais, des Turcs ou des ressortissants des Balkans. Plusieurs projets de naturalisation facilitée avaient échoué trois fois. Cette fois-ci, les conditions avaient été durcies: il fallait être né en Suisse, avoir moins de 25 ans, cinq ans de scolarité, maîtriser une langue nationale, avoir des parents et des grands-parents qui ont un titre de séjour. En Suisse, la naturalisation, ce n’est jamais automatique. C’est qu’il s’agissait de modifier la Constitution, donc d’obtenir la double majorité des électeurs et des cantons. Mais le climat politique n’était pas favorable aux étrangers. L’UDC, le parti xénophobe, avait lancé la campagne du non avec une affiche provocante : une femme en burqa et le slogan « naturalisation incontrôlée ? Non à la naturalisation facilitée ». Sauf qu’il ne s’agissait pas de l’interdiction de la burqa et qu’il y avait peu de musulmans concernés, moins de 12%. La forteresse suisse n’est pas prête à se rendre. Vous qui rêviez de devenir Suisse, comme Alain Delon, vous savez ce qui vous attend !

Marc Schindler

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Un commentaire à “Ah, quel bonheur d’être Suisse !”

  1. Bertrand Baumann 18 décembre 2017 at 09:08 #

    J’ai enseigné le système politique suisse aux étudiants étrangers, il y a 76 ans et demi que je suis suisse (plus 9 mois dans le ventre de ma mère), mais je sais bien que, si on me le demandait, je ne passerais pas le test de nationalisation. Et je plains ceux qui y sont soumis. Quant aux membres d’une commission qui confondent l’adaptation à un pays avec une accumulation de connaissances, ils sont stupides et prétentieux.

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